Interview : The Slits

De gauche à droite : Viv Albertine, Ari Up, Tessa, Palmolive

Interview : Paloma (Batterie) et Tessa (Basse) du groupe The Slits

Angleterre, fin des années soixante-dix. Les Sex Pistols crient leur haine sur « God save the Queen ». Pendant ce temps-là, The Slits, un groupe entièrement féminin, révolutionne le Punk et se démarque. Ces filles singulières ajoutent malicieusement au Punk des touches de Dub et de Reggae sur des hits comme «Typical Girls » en 1979. On a ainsi qualifié leur style de « Punky Reggae », un style proche du Clash de Joe Strummer dont Palmolive (batteuse des Slits) était la petite amie. Volontiers provocatrices, elles posent topless et couvertes de boue pour la pochette de leur album « Cut », dont on a fêté les 40 ans l’an dernier. Aujourd’hui un documentaire (« Here To Be Heard: The Story Of The Slits ») retrace leur parcours et leur rend hommage. Deux bonnes raisons d’évoquer avec Tessa et Paloma (Palmolive) leur passionnante jeunesse sauvageonne.

Thee Savage Beat : On a fêté récemment les 40 ans du mouvement Punk, qu’est-ce que cela vous évoque?

Paloma McLardy : Je suis étonnée que les gens parlent encore de nos groupes, et d’autres de l’époque. Cela montre qu’il y avait quelque chose d’unique et différent dans ce que l’on faisait.

Tessa Pollitt : Je ne suis pas très anniversaire. Le punk était pertinent à l’époque sur un plan politique, social, musical, sur notre façon de nous habiller, etc. Et ses prises de position sur la société ont permis d’abattre pas mal de barrières, mais je pense qu’on a fait le tour de la question. Pour certaines personnes je pense que l’attitude punk a perduré, mais il est impossible de répéter ce qui n’est plus.

Comment s’est fait l’album Cut ?

Tessa : On attendait le contrat d’enregistrement qui nous conviendrait, et on a choisi le label Island Records, qui avait signé les artistes les plus « non-commerciaux ». On contrôlait à 100% le processus créatif, c’est pour ça qu’on a pu créer une pochette de disque si iconique, cible de nombreuses critiques, mais aussi de l’admiration, pour son sens plus profond. On était traînées dans la boue et sans cesse attaquées. On a choisi Dennis Bovel comme producteur, le “Dub Maestro”. En Angleterre, dans les années 70, c’était l’âge d’or du reggae et du dub. Ça a eu une influence énorme sur nous, et Dennis pouvait faire le lien avec nos valeurs punk. On a mélangé les deux, et c’est comme ça qu’a émergé le “punky reggae”. Cut était critiqué par certains – pas aussi punk que les John Peel sessions. On a créé quelque chose de nouveau pour l’époque. Nos chansons étaient inspirées de notre vécu, sans prétention ni recherche d’un succès commercial. Si on a eu un impact à l’époque, j’espère qu’on a influencé d’autres femmes créatives à avoir du courage et à faire tomber des barrières.

Pouvez-vous nous en dire plus sur le punky reggae ?

Tessa : Les deux genres se heurtaient. La jeunesse noire avait pas mal de combats à mener, le racisme dans la société et dans la police. Il y avait aussi pas mal de factions et de violence à l’époque. On avait ensemble pas mal de motifs de rébellion communs. Comme d’autres, les Slits on décidé de défendre leur cause. L’influence du reggae avait imprégné notre musique, et je trouvais ça plus facile de jouer de la basse sur ce rythme-là, le offbeat. Donc, avec en plus l’influence de la world music et un tas d’autres choses, on a créé notre propre son. Je pense que le “punky reggae” est spécifique à l’Angleterre, vu qu’on a grandi ensemble avec la communauté caribéenne. Mais c’est une étiquette, et je n’aime pas les étiquettes. Un parfait exemple de punky reggae c’est une chanson qu’a fait plus tard Ari Up, “The World Of Grown Ups” (« il [le monde] est tellement corrompu » dit-elle). Elle écrit un vers dans le style reggae suivi par un refrain dans le style punk.

Quelles étaient les sources d’inspiration des Slits ? Le Velvet underground ? Patti Smith ? Autre ?

Paloma : Je n’étais pas trop intéressée par les paroles des chansons rock and roll, j’étais plus chanteurs protestataires. Je venais d’Espagne, et exprimer ses sentiments sur le statu quo et la vie en général, c’était très important pour moi.

Tessa : On baignait dans le reggae et la dub music aux débuts du punk, donc ça été une grande influence. Les Ramones et Patti Smith évoquaient pour nous une nouvelle énergie excitante. Nico est venue nous voir un jour en concert au Gibus à Paris. Elle n’a pas reconnu notre version de “Femme Fatale” du Velvet Underground, sans doute un petit peu trop punk pour elle ! Je l’ai vraiment connue plus tard à Londres, on a traîné ensemble. Je l’ai toujours admirée, en solo ou avec le Velvet.

On a dit en parlant des Slits « A côté de ces filles, les Sex pistols sont des enfants de choeur ! » – C’était le cas ?

Tessa : Cette citation est signée de « The News of The World », un journal de caniveau qui n’existe plus aujourd’hui. Il essayait de faire du sensationnalisme avec la nouvelle génération. Il est à noter qu’il ne pouvait pas imprimer le nom de notre groupe 100 % féminin (« The Slits » signifiant « Les Fentes » NDT), car c’était trop vulgaire pour un « journal familial » ! Par contre imprimer « The Sex Pistols » ça les dérangeait pas ! C’est un exemple parfait de l’hostilité envers des jeunes femmes qui essayaient de changer la perception que la société avait d’elles. Pour les garçons, c’était acceptable d’être rebelles et sauvages, c’était tellement rock’n roll ! Pour les filles, être choquantes, c’était nouveau et effrayant, et la société n’était pas prête. Donc, on était juste différentes, on essayait pas de copier l’exemple masculin pour se fondre dans le moule. On était féminines et sauvages, sans entraves.

Comment le punk est-il rentré dans vos vies ?

Paloma : A l’époque j’étais à un tournant de ma vie, à la recherche de quelque chose de différent. J’en avais marre de la scène hippie, c’était devenu chiant. Et puis, j’étais influencée par Joe Strummer avec qui je vivais à ce moment-là, il m’a initiée au Punk. J’adorais le « do it yourself », se déguiser et faire la folle, être capable de s’exprimer… Je me sentais en osmose avec la batterie, car j’avais le rythme dans la peau. J’adore danser.

Tessa : Je suis née au bon endroit, au bon moment. Avoir 16 ou 17 ans ça impliquait avoir une angoisse existentielle et une envie de changement. Sur le plan politique, il y avait peu d’espoir pour notre génération, et étant d’une nature créative, le pas était facile à franchir. Et puis en tant que jeune femme, il y avait pas mal de combats à mener. On ne comptait pas laisser la société nous formater. « Punk » c’était un mot dont nous avaient affublé les médias, parce qu’ils ne comprenaient rien à ce qu’il se passait. On était furieuses et on ne pouvait plus supporter ça ! C’était le tour de notre génération de changer les choses.

Paloma, vous avez quitté The Slits avant le premier album « Cut » et The Raincoats après leur premier album éponyme et jouée brièvement dans les Flower of Romance avec Sid Vicious. Donc, peut-on dire que vous étiez la plus punk du groupe ?

Paloma : J’en sais rien. Sid Vicious m’a virée du groupe Flower of romance au bout de deux semaines, parce que je voulais pas coucher avec lui. Vivian m’a virée du groupe The Slits, avant de faire le LP. On avait plein de désaccords sur la fin. Ensuite j’ai intégré les Raincoats. Mais j’étais fatiguée de la scène et j’avais besoin de changement. Si le fait de ne pas se soucier pour l’argent ou d’un plan de carrière fait de moi quelqu’un de plus punk, alors oui, c’est vrai, j’en avais rien à faire. Il était plus important d’être honnête avec moi-même.

Tessa : Pas d’accord ! Je ne pense pas qu’une personne soit plus punk qu’une autre. Ce n’est pas une compétition, qui veut être l’archétype du punk ? L’idée c’est d’être soi-même et de ne pas copier les autres, se construire au fur et à mesure. Il n’y avait pas de règles, juste le Do It Yourself. J’aime et je respecte Palmolive, et notre amitié a résisté aux épreuves du temps. Je n’ai pas de critique à lui formuler. Le groupe a changé de cap après son départ et la dynamique a changé, mais ce n’est ni bien, ni mal, juste un changement.

Kurt Cobain, leader de Nirvana, a mis “Typical Girls” dans son top 50 de ses chansons préférées de tous les temps. Il était fan des Raincoats. Aimiez-vous sa musique ?

Paloma : J’étais déconnectée de toute la scène musicale à ce moment-là. Mais il a vraiment été très influent dans le fait que les Raincoats soient connues aux USA.

Tessa : Je dois dire que Nirvana est un de mes groupes favoris. En fait, quand ma fille adolescente Phoebe les écoutait dans sa chambre, je criais en bas « Mets plus fort ! ». C’est donc un immense honneur que Kurt Cobain nous ait incluses dans son Top 50. Je pourrais dire la même chose d’eux !

Quels groupes actuels se rapprochent le plus de l’état d’esprit de l’époque?

Tessa : Le seul groupe qui me vient à l’esprit, c’est Pussy Riot, mais je ne suis pas très au fait de la musique actuelle, par contre je suis passionnée par le reggae et la world music. De toute façon, qui a envie de prendre comme référence les années 70 ? On doit continuer à évoluer et à explorer de nouveaux territoires !

Connaissez-vous des groupes français ?

Tessa : Je peux citer les Guilty Razors un groupe de Paris à l’époque, de la fin des années 70. Ils se sont occupés de nous et on a partagé la scène quand on jouait régulièrement au Gibus. On s’est bien amusé et on en a gardé des très bons souvenirs. Plus récemment, sur la scène rap, je pourrais citer MC Solaar.

Êtes-vous déjà venues en France, si oui quels souvenirs en gardez-vous ?

Paloma : On a fait une tournée et j’ai joué une seule fois à Paris. C’était vraiment amusant, le feeling des punks français était différent, ils étaient plus relax !

Tessa : Oui ! Avec les Slits on est venu plein de fois en France, dans différentes villes. J’aime beaucoup la France. Le souvenir le plus fort que j’ai de votre pays, c’est quand j’ai voyagé à Paris avec Neneh Cherry, ma chère amie et ancienne membre des Slits. On est passé devant un petit bar et on a vu que Nina Simone allait jouer ce soir-là. Elle avait connu Don Cherry, le très talentueux trompettiste de jazz, une personnalité unique, et aussi le papa de Neneh ! Donc, on s’est assises en face de Nina Simone alors qu’elle jouait du piano, elle nous a souri tout le long, et j’étais pleine de respect et d’admiration devant sa prestation, une vraie légende. Jamais je n’oublierai ça, quel plaisir, quelle pure inspiration ! C’était comme dans un rêve, un souvenir à jamais dans mon cœur !

Interview : Frédéric Quennec / Traduction : Nicolas Quennec

Interview initialement parue dans Rock Hardy #55 (été 2019)

Liens Slits :

Non-official website :http://www.theslits.co.uk/index.html

Page facebook : https://www.facebook.com/theslits/

Page Officielle Palmolive: https://www.punkspalmolive.com/%E2%9D%A4%EF%B8%8F?fbclid=IwAR0H1bMFZgot2PYYZEzlm8Qtthn1osr7T6_o_pMqIZEIBL3oiXl3sGX4v5A

Here to be Heard Film Doc: https://www.facebook.com/slitsdoc/

Site Here to be Heard shop : https://shop.bfi.org.uk/here-to-be-heard-the-story-of-the-slits.html#.Xhyr1yNCeUk

Publié par theesavagebeat

Ce blog propose des articles, principalement des interviews, sur des artistes ou groupes rock, punk rock et rock garage. Il est basé à Nantes (France). Le nom Thee Savage Beat est un hommage au groupe nantais Thee Death Troy ainsi qu’au titre des Dictators « The Savage Beat ». Ce blog est tenu par Frédéric Quennec et Nicolas Quennec.

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