
Le Reverend Beat-Man est le résident le plus rock’n’roll de Suisse. On l’avait déjà interviewé début 2020 et c’est avec plaisir qu’on le retrouve aujourd’hui alors que son label Voodoo Rhythm a sorti une compilation excellente pour fêter ses 30 ans et qu’il nous gratifie d’un nouvel album de son groupe The Monsters.
Thee Savage Beat: Quelles sont les choses les plus trash que tu aies faites en 30 ans de Voodoo Rhythm ?
Reverend Beat-Man: Les premières tournées des Monsters et en tant que Lightning Beat-Man c’était carrément trash. On avait un car Mercedes qui plafonnait à 80 km/h, à 60 dans les côtes. Personne ne nous donnait un endroit où dormir ou de la nourriture, et nos cachets étaient ridicules ou inexistants. On dormait sur la scène ou bien dans les toilettes du club quand il y faisait plus chaud. Une fois en Allemagne on a joué dans un squat géré par un groupe féministe radical. Elles ont vu la pin-up qui était tatoué sur mon bras et elles nous ont dit qu’on pourrait jouer à la condition que je masque ce tatouage. Quand on a débarqué sur scène on s’est tous déshabillés et on a joué complètement nus. Les féministes ont pas trop apprécié, mais elles nous ont autorisés à dormir dans le squat, et on s’est servis de leur banderoles comme couvertures pour se tenir chaud !
Je me souviens d’un musée qui m’avait engagé pour une performance en tant que Lightning Beat-Man, et je leur avais annoncé la couleur sur le côté extrême de mon show. Je leur ai donné tous les détails à l’avance et ils ont dit que ça leur posait pas de problème. Donc,je suis arrivé au musée et j’ai regardé les autres performances. Il y en a un qui cassait du verre, un autre faisait de l’action-painting, puis mon tour est arrivé. Ils m’avaient donné le pire endroit, juste à côté d’un bar à salade ! J’ai mis le son à fond, et je suis devenu complètement cinglé, je criais comme un porc, je cassais ma guitare. Après c’est monté d’un cran quand j’ai sauté sur le bar à salade, piétinant toute la nourriture et lançant la salade sur des tableaux à plusieurs milliers de dollars ! Je n’exagère pas. Je me suis bien amusé, mais le type du musée qui m’avait engagé était livide, on aurait dit qu’il allait faire une crise cardiaque. On pouvait lire sur son visage une colère noire et des envies de meurtre. La sécurité devait le contenir chaque fois que je m’approchais de lui pour lui crier au visage pendant ma performance. Je l’avais pourtant prévenu, et il était d’accord ! Quand j’ai fini mon show, j’ai enlevé mon masque et je suis allé le voir pour lui serrer la main, et je lui ai dit que c’était un plaisir de travailler avec lui, et que j’espérais qu’il avait aimé ! Quoi qu’il en soit, ce fut ma dernière performance en tant que Lightning Beat-Man.

Quel sont tes meilleurs souvenirs de ces 30 ans du label ? Le pire souvenir ? Peux-tu expliquer pourquoi ?
Un de mes meilleurs souvenir c’était l’incroyable élan de solidarité que j’ai connu quand j’ai eu un litige avec la SUISA (NDT: La Sacem suisse) qui me réclamait 24.000 francs suisses. Je leur ai répondu que dans ce cas-là ça serait la mort du label, réclamer une telle somme c’était me dévaliser. A la suite de ça, un mouvement mondial s’est mis en branle pour sauver Voodoo Rhythm, des concerts de soutien ont été organisés pour m’envoyer de l’argent et payer la facture. Tout ceux qui ont pris part à ce mouvement, que ce soit les organisateurs ou les groupes, portaient le même message, il est impossible que ce label disparaisse, il est trop bien. Grâce à tous ces gens, j’ai pu payer ma dette. C’est un souvenir incroyable, et ça m’a fait réaliser qu’il y a des gens un peu partout qui se soucient du label et qui pensent comme moi. Moi, tout ce que je veux faire, c’est du rock n’roll, produire quelque chose d’extraordinaire. Après ça, j’ai eu des contacts avec des groupes, ce qui a impliqué plus d’argent et de paperasse. Voodoo Rhythm est devenu plus professionnel. C’est un aspect que je déteste le plus, car le label n’est plus si libre aujourd’hui. Je ne suis pas fan du côté business, qui complique les choses, mais le reste ça me va. J’aime tous mes groupes de la même façon, que ce soit ceux qui sont restés avec moi ou ceux qui sont partis pour faire autre chose.

Vous allez fêter les 30 ans du label en sortant une compilation, peux-tu nous en dire plus ?
Cette compilation a été pressée en picture disc avec Andy Sinboy, qui joue dans le groupe roumain Bad Decisions. Un tas de nouveaux groupes chez Voodoo Rhythm y figurent, comme Nestter Donuts d’Alicante en Espagne, Honshu Wolves, qui est la grande prêtresse du blues dans le désert bernois, et beaucoup d’autres. Le disque est un énorme coup de pub pour le label. On essaye vraiment d’atteindre un public le plus large possible, des gens qui n’ont jamais entendu parler de nos groupes ou du label.
Le nouvel album s’intitule You’re class, I’m trash, pourquoi ? Quels sont les messages que tu veux exprimer dans cet album ?
Un jour, on s’est réveillé et on a réalisé qu’on avait 50 ans, qu’on était toujours dans le groupe. On voyait que nos amis ou nos anciens camarades de classe avaient des jobs bien payés, une maison familiale, un chien, un vélo électrique, etc. Et nous on était des épaves, façonnées par le rock and roll ! Voilà le sens du titre. On prend notre temps pour créer notre musique, et puis il y a beaucoup de choses qui vont à la corbeille. Je veux enregistrer un morceau qui tienne la route, c’est pour ça que ça prend plus de temps, et j’espère à chaque fois que la chanson sonne bien et que les gens l’aimeront.

Tu as dit dans une interview que tu étais un grand cinéphile. Tes goûts vont plutôt vers le trash de John Waters ou l’humanité de Robert Bresson ? plus généralement quels sont quelques films que tu considères comme des chefs-d’œuvre ? Connais-tu le cinéma français ?
C’est vrai, je suis un cinéphile. J’adorais John Waters quand j’étais ado, et d’autres films gore. Aujourd’hui mes goûts sont plus éclectiques, je suis un grand fan de ciné, je fréquente les salles obscures et je regarde aussi des films chez moi. Pour ce qui est des films français, j’ai grandi avec Louis de Funès. Et puis mon père était le portrait craché de Jean-Paul Belmondo. J’aime aussi les films de Gaspard Noé (Irréversible, Enter The Void, etc.). Ces films sont éblouissants. En ce moment, on prépare un clip vidéo avec Oscar Bizarre et Béatrice Dalle.
Tu disais dans notre précédente interview que Motörhead avait été une de tes influences. Quel héritage a laissé Lemmy pour toi dans la musique ? Et plus généralement, que représente pour toi la figure de Lemmy ?
J’ai vu Motörhead et Iron Maiden jouer dans l’émission allemande Musikladen en 1981. Je n’avais jamais entendu quelque chose d’aussi brut de décoffrage. A l’époque, c’était le règne de Genesis, Asia, Yes, et toutes les merdes dans le même genre. Motörhead était encore plus primitif que AC/DC, et j’étais à la recherche de ce genre de rock and roll depuis toujours. J’ai grandi en écoutant les disques de mes parents, genre Elvis et Bill Haley, mais Motörhead c’était pour les jeunes. Bien sûr au fil des ans en connaissant la gloire Lemmy s’était quelque peu assagi, mais ça restait un type brillant. Je partage tristement avec Lemmy et Hasil Adkins le fait d’être solitaire, d’être isolé, de vivre uniquement pour le rock n’roll.
En 30 ans de Voodoo Rhythm, Quels groupes ont été une révélation pour toi ? Est-ce qu’il est arrivé qu’un groupe te déçoive ?
Non, je ne fixe pas d’objectif pour les groupes que je signe, ils viennent et ils partent, c’est tout. J’aime tous mes groupes, ceux qui sont restés et ceux qui nous ont quittés, ils sont tous excellents.
Comment vois- tu l’avenir avec ton label et les Monsters ? Avec la généralisation du streaming et la hausse des prix du vinyle, que penses-tu de la situation de l’industrie du disque actuellement ? Comment écoutes-tu de la musique ?
J’écoute de la musique avec les vinyls et sur internet. J’aime les radios en ligne comme WFMU du New Jersey, elle est excellente, j’y découvre des super groupes et j’achète leurs disques après. Mais en Europe on n’a pas quelque chose comme ça, c’est peut-être un problème de droits. Je ne comprends pas pourquoi on ne peut pas avoir des radios internet ici. Ce qui est bien avec ces radios, c’est qu’elles partagent leur playlist, et je les parcours à la recherche de pépites. Les DJ radio c’est ce qu’il y a encore de mieux dans ce business, ils sont bien plus forts que les algorithmes de Spotify ou de Youtube. Après ça m’arrive de les utiliser, mais en tant que label ou de groupe, je les déteste. On ne rentre pas dans les critères de ces compagnies, on n’est pas assez formaté, ce qui fait qu’on a du mal à survivre, surtout en ces temps de Covid où les tournées ont été restreintes.

Si tu pouvais signer n’importe quel artiste dans le passé ou dans le présent, qui choisirais-tu ? Et pourquoi ?
Je signerais Zeni Geva, un de mes groupes favoris de tous les temps ! Je signerais aussi The Christian Family de l’Arizona, mon groupe préféré ! Oops, il se trouve que je viens de les signer !
Interview: Frédéric Quennec / Traduction: Nicolas Quennec
Cette interview réalisée en novembre 2021 est la version longue d’une interview publiée dans le magazine Best en février 2022.
