Interview : Marc Jonson

New Years’ Days

Marc Jonson a longtemps été un artiste maudit, malgré ses talents de songwriter qui lui ont apporté une certaine reconnaissance, ses titres étant repris entre autres par Suzanne Vega et The Smithereens. Au début de sa carrière, au sein des Wild Alligators, il a cotoyé des musiciens qui allaient devenir des acteurs majeurs du mouvement punk, Wayne Kramer, futur MC5, et Richard Lloyd qui formera Television. Restent ses deux principales œuvres aujourd’hui rééditées avec soin par Munster, son album psyche-folk-baroque “Years”, oublié pendant des décennies et “12 in a room”, un album de power-pop de référence.

Thee Savage Beat : Vous étiez récemment en Espagne pour une tournée avec Richard Lloyd et Ramirez Exposure, comment cela s’est-il passé ?

Marc Jonson : Le public espagnol est super. Il est raffiné, reconnaissant, enthousiaste et très ouvert sur le plan émotionnel. Je trouve toujours ça stimulant de tourner là-bas. Je connais Richard Lloyd de la scène musicale new yorkaise de la fin des années 70. On a mixé ensemble mon disque « 12 in a room » au studio Shelter Island de Steve Addabbo. Victor Ramirez avait enregistré ma chanson “Suddenly Sunshine” avec Ken Stringfellow (The Posies) à la production. Pour la tournée 2018 on a demandé à Richard Lloyd de nous rejoindre. Une bonne décision.

Votre album « Years » est ressorti récemment sur Munster, pouvez-vous nous parler de l’histoire de cet album ?

Les disques qui ont inspiré « Years », c’était “Astral Weeks” de Van Morrison, et “Forever Changes” de Love avec Arthur Lee. D’autres disques m’ont influencé, sans aucun doute, peut-être “Tumbleweed Connection” de Elton John. Et puis “Nights in White Satin” des Moody Blues, et les premiers disques de Leonard Cohen. Vous mélangez tout ça et vous avez les graines de « Years ». A partir du moment où j’ai eu l’accord pour produire mon tout premier disque, il a fallu que j’accumule le maximum de connaissances sur le studio. Ça a pris un peu de temps avant que ça démarre. J’avais l’habitude d’utiliser les instruments d’un orchestre classique laissés là après une session d’enregistrement, la veille de notre propre session. Je faisais les arrangements. Je m’étais rendu à New York et j’avais obtenu un contrat tout seul. Je ne devais rien à personne, mais dans le même temps, j’étais en rade, sans expérience du business. Pour moi, c’est à cause de ça que l’album, ainsi que mes débuts précipités, ont été un échec. Il a fallu tout ce temps jusqu’à aujourd’hui pour que « Years » refasse surface et connaisse un certain succès. Je pense que la sortie de « Years » par Real Gone Music en 2017 et aujourd’hui en vinyle par Munster Records, ça a complètement réveillé l’intérêt qu’on lui porte. Il a de super critiques et se vend bien. J’étais en Espagne pour en faire la promotion, en quelque sorte j’accompagnais sa renaissance !

Qu’avez-vous fait après la sortie de l’album « Years » ?

Je traînais dans le Village un an après la sortie de « Years » et j’ai trouvé un appartement. Je continuais à écrire des chansons et d’autres artistes ont commencé à les enregistrer. D’abord Robert Gordon a enregistré trois titres (Are You Gonna’ Be the One, Take Me Back et Lover Boy), puis The Roches a réenregistré Love Radiates Around. Paul Butterfield a enregistré Bad Love. The Smithereens ont enregistré Groovy Tuesday, une collaboration avec leur leader Pat Dinizio et leur compositeur et chanteur Steve Forbert. Beaucoup d’autres encore ont enregistré mes chansons. J’avais pas une bonne perception de ce qu’était une carrière réussie. Je pensais qu’il y aurait toujours un nouveau contrat en vue, et à chaque fois, je me mettais à picoler. J’arrivais pas à rester concentré sur le business. Mes Wild Alligators jouaient tout le temps, mais l’excès de boisson nous empêchait d’aller de l’avant. Il fallait que j’arrête ce mode de vie. J’ai suivi un programme pour m’en sortir, et ça fait maintenant 30 ans que je suis sobre, et j’ai l’impression d’être le jeune homme de 21 ans qui a fait « Years ».

Les Wild Alligators, avec vos camarades Wayne Kramer, Richard Lloyd et Mike Masaros, s’étaient autoproclamés « the world most popular Foursome » – Avez-vous des anecdotes sur ce supergroupe ?

Mon groupe new yorkais The Wild Alligators a commencé à attirer l’attention sur lui, grâce entre autres à une animatrice de la radio WBAI, Lynn Samuels. Un soir elle est tombée par hasard sur un de nos concerts. Elle a parlé de nous tous les soirs à la radio. Du jour au lendemain, il y avait quatre fois plus de fans à nos concerts. Un soir je me suis promené dans le club avant notre show et il y avait des fans avec des alligators sur des broches ou des t-shirts. Lors d’un concert au club Heat, il y avait trois têtes d’affiches au programme, dont Richard Lloyd et Gang War (avec Wayne Kramer et Johnny Thunders). Ce même soir, les Clash avaient leur concert au Carnegie Hall et voulaient faire la fête ensuite avec Wayne et Johnny. Après notre concert, les Clash se sont pointés avec Ian Dury pour une beuverie. Wayne Kramer a été le seul à venir me voir pour me féliciter pour mon concert. Ce jour-là on est devenu amis, et c’est toujours le cas aujourd’hui.

Gay intruders

Pouvez-vous nous parler de vos tout-débuts au sein des Gay intruders ?

On formait un trio avec Roger Mason et Billy Servideo qui jouaient de la guitare. J’étais au chant et à la batterie, pendant que les deux guitaristes reprenaient des chansons des Beatles et des Stones. On a repris le nom de l’équipe de basket du camp de Roger auquel on a tous participé cet été-là. On pensait que ça faisait référence aux “Gay Nineties”. Quand on a découvert ce que “Gay” signifiait, on s’est dit, et alors, ça sonne bien de toutes façons, et on l’a gardé. On a enregistré un single, “In the Race”. Il va sans doute sortir bientôt sur Munster Records.

Parmi vos songwriters favoris, quelles rencontres vous ont marqué ?

J’ai fait la connaissance de Paul Simon par l’entremise de Maggie et Terre Roche (The Roches). Et puis elles m’ont aussi beaucoup influencé. Une nuit, Je me suis retrouvé nez à nez avec Bob Dylan à Folk city alors qu’il titubait, avec une fille à chaque bras. Plus tard, j’ai signé avec sa maison d’édition Four Aces, pour le business, par rapport à mes chansons pour Robert Gordon pour l’album “Are you gonna be the One” sur RCA. Willie Nile et moi étions en relation avec la boite de Bob à cette époque-là. J’ai rencontré Justin Hayward des Moody Blues qui jouaient au Boston Garden un soir. Je suis arrivé tôt pour les balances, je suis allé backstage et je me suis retrouvé à aider leur tourneur pour leur acheter des bières et des sodas. Je devais avoir vingt ans à l’époque mais cela m’a impressionné. J’ai rencontré Ringo il y a quelques années et je lui ai donné un poème qui parlait de Brian Epstein. Avant les Beatles, Brian a un jour fait pivoter les mannequins du magasin familial pour qu’ils soient tournés face à face, et non vers la rue. Les gens étaient interloqués. Plus tard, même sens du spectacle pour les Beatles, il les habillait, les faisait saluer à la fin de leurs concerts. Le poème abordait tout ça, et je l’ai donné à Ringo.

Votre bio nous apprend que vous avez joué au CBGB, une bonne expérience ?

J’ai joué une fois au CB’s, sans ma guitare, simplement comme chanteur, comme je le faisais avec les Gay Intruders. C’était pas terrible. J’avais besoin d’un tambourin ou de quelque chose dans les mains à secouer, ça m’a manqué. J’aimais la scène punk-art. C’était beaucoup plus sauvage que la scène folk du West Village. Au final, les deux scènes se sont mélangées et des gens des deux côtés se sont mis à travailler sur des projets communs. Lenny Kaye du Patti Smith’s band s’est retrouvé à produire le premier album de Suzanne Vega. Je n’appartenais pas vraiment à ces scènes. J’étais dans l’œil du cyclone, comme aime à le dire le célèbre critique rock David Dalton. En effet, à cette période, pas mal de gens sont passés par mon appartement pour enregistrer ou simplement pour traîner. Ce n’était pas très grand, mais il y avait de bonnes ondes !

Parmi les nombreuses reprises de vos chansons (Smithereens, Suzanne Vega, Dave Edmunds, Robert Gordon, The Roches, Richard Barone…), desquelles êtes-vous les plus fier et pourquoi ?

Je ne pense pas vraiment comme ça. Tous les gens qui ont enregistré mes chansons ont fourni un effort intéressant à mes yeux. Peut-être que la version de Robert Gordon de ma chanson « Take Me Back » était inattendue mais j’aime son arrangement. J’aime la version de « Love Radiates Around » des Roches. C’est sur leur album Another World. Il a été nominé aux BMI/New York Music award dans la catégorie Meilleure chanson.

En 1988 vous avez gagné le New york Music award dans la catégorie du « meilleur songwriter », quel souvenir en gardez-vous ?

Le truc dingue, c’est que c’est Ben E. King qui m’a remis le prix, le même qui a enregistré en 1961 ma chanson préférée de tous les temps, Spanish Harlem. Je lui ai dit ça, il a juste souri et il a dit “Voilà !”. J’étais très reconnaissant d’être honoré de cette façon.

Frédéric Quennec / Traduction: Nicolas Quennec

Version longue de l’interview parue dans Abus dangereux #150 (Mai/Juin 2019)

Marc Jonson “Years” – LP/CD (Munster Rds)

Marc Jonson “12 in a room” – LP/CD (Munster Rds)

Marc Jonson / Compañía de Sueños Ilimitada- My girlfriend doesn’t like the Ramones – 7” (Munster Rds)

http://www.marcjonson.com/

http://munster-records.com/

Publié par theesavagebeat

Ce blog propose des articles, principalement des interviews, sur des artistes ou groupes rock, punk rock et rock garage. Il est basé à Nantes (France). Le nom Thee Savage Beat est un hommage au groupe nantais Thee Death Troy ainsi qu’au titre des Dictators « The Savage Beat ». Ce blog est tenu par Frédéric Quennec et Nicolas Quennec.

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