Interview : Ed Stasium (Producteur des Ramones)

… mais aussi de Motörhead, Long Ryders, Mick Jagger, Living Colour, Talking Heads, Misfits, et bien d’autres encore.

Le nom d’Ed Stasium est associé aux plus grands artistes de Mick Jagger à Living Colour en passant par les Long Ryders, les Talking Heads et Motörhead. Mais bien sûr, plus que tout, c’est sa fidélité au groupe les Ramones qui a marqué les esprits. Il est entré dans l’histoire en les enregistrant sur Leave Home, sa carrière de producteur continua avec eux sur Road to Ruin et It’s Alive et ceci jusqu’à Mondo Bizarro, dernier grand album des Ramones. C’est naturellement que Ed Stasium participe aux rééditions anniversaires du groupe et en l’interviewant nous évoquons sa passion pour la musique des Ramones et son amour de l’enregistrement.

Thee Savage Beat : D’où vous est venue la passion de la musique ?

Ed Stasium : Dès le berceau, je pense. Il y avait toujours de la musique à la maison, la radio et les disques. On habitait le New Jersey, mais on écoutait les radios de New York et je me souviens d’une émission avec le DJ Martin Block qui s’appelait « Make Believe Ballroom » (le bal des chimères), il passait le hit-parade, donc je connaissais toutes les chansons des années 50. J’ai grandi dans les années 50 et 60, et jeune, j’ai été exposé à toute la musique de cette époque. On avait un petit tourne-disque à la maison, il n’était même pas en stéréo. J’écoutais Frank Sinatra, Louis Prima, Louis Armstrong, Ella Fitzgerald, Glenn Miller et bien sûr les grands succès de Tony Benett, tous les standards des années 50. Le rock and roll est entré dans ma vie en 1959 quand j’ai eu 10 ans, et qu’on m’a offert un transistor. Je pouvais alors choisir d’écouter les radios de mon choix, c’est comme ça que j’ai commencé à acheter mes premiers 45 tours.

Premier enregistrement en tant que producteur ? Comment avez-vous appris les rudiments de l’enregistrement et de la production ?

Entre 7 et 9 ans je prenais des leçons de piano et puis j’ai eu mon transistor. Mes parents étaient de condition modeste, mais ils gardaient toujours de l’argent pour un cadeau de Noël. J’ai tout de suite été intéressé par les magnétophones. En 1961, j’ai eu un magnétophone mono électrique, et j’enregistrais les chansons à la volée diffusées par la radio.. En 1963, c’était la Beatles mania, et ils m’ont offert une guitare électrique. Avec des amis, j’ai commencé à jouer dans des groupes à l’école, c’est là que j’ai appris les bases tout seul. J’étais le gars qui connaissait les accords. Mon dernier groupe au lycée c’était The Psychotics. La musique psychédélique commençait à émerger dans les années 1966-67, et en fait, c’est mon prof de maths, féru de musique, qui a trouvé le nom de notre groupe, inspiré de la chanson du Count Five, « Psychotic Reaction ». Je crois que mon talent de producteur vient de là, de ces groupes de jeunes, apprendre les chansons, les enseigner aux autres, même pour la batterie – je connaissais les partitions de tout le monde, même si c’était rudimentaire, et j’écrivais toutes les paroles. Ensuite, avec le groupe qui s’appelait « The Cartoon », mais on a dû le changer, car c’était déjà pris par le groupe de Jimmy Page. On s’est rebaptisés «  Men Working », puis finalement « Brandywine ». On a tourné dans la région de New York et du New Jersey grâce à notre manager Barry Lander et j’ai installé un petit studio d’enregistrement chez lui. C’est là que j’ai réalisé mon premier enregistrement. Avec les Brandywine on a signé chez Brunswick Records et on a sorti notre tout premier disque en 1970. Plus tard, j’ai commencé à faire partie de l’équipe fondatrice du studio « Power station » avec Tony Bongiovi et Bob Clear Mountain et c’est à ce moment-là que j’ai commencé mon association avec les Ramones.

Votre nom est associé au groupe les Ramones. Nous fêtons cette année les 40 ans de la sortie de « It’s alive »…

En fait, c’était l’idée de Seymour Stein, le président de Sire Records, de faire un enregistrement live des Ramones, et c’était le moment idéal parce qu’on avait sous la main plusieurs enregistrements de shows en Angleterre. On a enregistré plusieurs concerts dont celui du Rainbow Theatre, le concert de It’s Alive. Seymour pensait que ça apportait un intérêt car l’énergie live des Ramones n’avait jamais été gravée sur disque. Il voulait montrer au monde ce qu’ils représentaient vraiment en concert.

Quelles rencontres vous ont marqué à cette période ?

J’étais plus soucieux de faire enregistrer le groupe. Le groupe jouait toujours les mêmes morceaux. Au concert du Rainbow show le 31 décembre, pour la veille du nouvel an de 1978, il y avait Elton John et sont venus backstage un tas de monde dont des membres des Sex Pistols et des membres des Pretenders. J’étais un grand fan d’Elton John, et j’ai passé quelques soirées à traîner avec lui. Il y a une anecdote marrante : après le concert, son manager organisait une grande fête pour le nouvel an. On est parti en limousine du concert avec moi, les Ramones, Danny Fields, Linda Seymour, Stein Seymour, Arturo Vega le superviseur lumière, Monte Melnick le tour manager. Et puis on s’est retrouvé au milieu d’une foule immense de milliers de personnes à Trafalgar Square. On est arrivé à la fête de John Reed pas avant 2:45 du matin et il nous attendait. On était les seuls dans le restaurant. Johnny était marrant. Les Ramones ne supportaient plus la nourriture indienne servie backstage, ils se plaignaient toujours du curry, donc Linda Stein s’était assuré que John Reid s’occuperait du hamburger de Johnny Ramone car Johnny les adorait. Et finalement il a eu son hamburger à 3 heures du matin pour le nouvel an.

Comment s’est déroulé l’enregistrement ?

Je n’ai rien enregistré d’autre en live avant la tournée en Angleterre, c’était la première fois que j’enregistrais les Ramones. Nous avions un studio d’enregistrement mobile, qui appartenait à Chris Blackwell de Island Records, à l’extérieur de la salle de concert. Chris avait les studios Passing Street Studios. Ce fut assez simple à enregistrer. Quelques gars de l’équipe ont disposés des micros et il y avait juste à appuyer sur le bouton record. La philosophie c’est ça : Place les micros et laisse-les jouer. Il fallait ensuite écouter et mixer. Il n’y a pas eu les complications que l’on peut rencontrer lors d’enregistrement studio quand on doit faire des overdubs pour les guitares ou les chœurs. Quelques soucis d’ondulations mais c’est facilement rattrapable sur le live. On a donc mixé soigneusement le disque live.

Pouvez-vous nous dire si l’album « It’s Alive » recevra le même traitement que les rééditions 40ème anniversaire des trois premiers albums ?

On va garder le mix original du Rainbow Theater. On va optimiser le mix des trois autres shows qui n’ont pas été réalisés soit Birmingham le show du 28 décembre, Stoke-On-Trent le 29, et Aylesbury le 30. Cela sera inclus dans un coffret sur lequel je vais travailler. J’y ajouterai peut-être des notes personnelles dans le livret. Il y aura sûrement un double vinyle et c’est vrai que le disque original n’a pas eu une vraie sortie aux États-Unis, l’album n’est jamais sorti en vinyle là-bas, il était disponible jusqu’à maintenant en Import et en CD depuis les années 90. J’espère que l’on pourra avoir l’ensemble du concert filmé, il manque 6 titres sur la version précédente du DVD alors que l’intégralité du concert existe. Il y a une possibilité de l’inclure en Blu-ray dans le coffret si on a les droits. Le Rainbow Theater est le seul show à avoir été filmé, il est sorti il y a quelques années sur le DVD « It’s Alive » mais pas l’intégralité du concert.

Le film « Rock’n’roll High school » fête également ses 40 ans. Comment le groupe a été choisi pour figurer dans le film ?

Le réalisateur était un gars qui s’appelle Allan Arkush. Ce film c’est marrant, je l’ai regardé il y a peu avec mon amie et c’est vraiment très drôle. Mon explication est qu’en fait le groupe Cheap Trick ne voulait pas participer au film et Allan, le réalisateur qui était un super fan des Ramones, contacta alors Sire Records. Ils se sont rencontrés, quand les Ramones ont lu le scénario, ils ont trouvé l’idée sympa, le deal était fait. Les Ramones ont écrit « I want You Around » et « Rock’n’Roll High School » spécialement pour le film. Ce fut un moment particulièrement agréable pour eux de faire une parenthèse dans leur carrière avec ce film un peu crétin comme Rock’n’Roll High School. Un film aujourd’hui culte.

Et puis il y a eu « End of the Century », qui aurait pu causer la fin du groupe. On attend aussi la réédition anniversaire. C’est un bon souvenir ?

C’est un bon souvenir, c’était super de connaître Phil Spector qui était comme un héros « gênant » mais que je respecte toujours. Mon sentiment personnel à propos de la mort de cette femme est que ce fut un accident. Il était connu pour porter des flingues mais je ne crois que cela soit intentionnel. En ce qui concerne les bonus de End of the Century, nous ferons un remix de « I Want You Around » et « Rock ‘n’Roll High School ». Normalement, ce sera Rick Rubin (Producteur de Mick Jagger entre autres) et moi qui ferons un remix de l’album. Johnny aurait voulu que cet album sonne comme un véritable album des Ramones. Il y a pour le coffret d’End of The Century des bandes entières de démos, il y aura bien sûr un LP, on inclura le nouveau mix sur ce LP, et il y aura sans doute un live de cette période à ajouter au coffret.

Quels groupes se rapproche de l’esprit des Ramones aujourd’hui selon vous ?

J’aimerais faire un album brut avec Green Day. Ils travaillent beaucoup leurs disques, je pense qu’ils n’arrivent pas à sonner comme ils le mériteraient. J’ai rencontré Billy Joe mais je ne lui ai jamais dit que j’aimerais faire un disque avec eux. Je voudrais aborder l’enregistrement avec le même traitement qu’avec les Ramones : enregistrer très rapidement. Je ne voudrais pas passer les trois ou quatre mois qu’ils passent sur un disque.

Ce que vous aimez chez les Ramones, ce que vous n’aimez pas ?

Tous les groupes de rock sont influencés par les Ramones, s’il n’y avait pas eu les Ramones, je ne pense pas que le Rock and Roll continuerait aujourd’hui… Ce que j’aime chez les Ramones, c’est leur esprit, leur jeu et leur simplicité. Ils prouvent, en particulier Joey, à beaucoup de gens, que n’importe qui peut surmonter ses handicaps et ses maladresses, se procurer un instrument, jouer et écrire de superbes chansons sur des sujets amusants. Ils étaient très influents et je vois que beaucoup de gens adorent les Ramones. Ce que j’aime le plus chez eux, c’est leur simplicité et leur humour. Et ce que je n’aime pas chez eux c’est le fait que tous les membres d’origine ne soient plus parmi nous, et ne soient plus là pour profiter du succès et de leur vraie popularité aujourd’hui. Cela m’attriste énormément.

Interview : Frédéric Quennec (Aide à la traduction : Nicolas Quennec)

Paru initialement dans le Dig it ! #76 (Décembre-Janvier 2019-2020).

Site officiel Ed Stasium : https://edstasium.com/

Discogs Ed Stasium : https://www.discogs.com/fr/artist/241495-Ed-Stasium?filter_anv=0&subtype=Production&type=Credits

Twitter Ed Stasium : https://twitter.com/edstasium?lang=fr

Spotify Playlist Ed Stasium (pour la playlist en intégralité, cliquez ici)

Interview : Schizophonics

Le Schizophénomène de San Diego

Pour les adeptes de High energy, les Schizophonics sont le nouveau phénomène rock-garage venu de San Diego.

Dès les premières notes de leur 1er EP  » Ogga Booga », on pense au MC5 avec le break d’intro et la voix puissante. Sur ce disque sorti en 2017 (il aurait pu aussi bien sortir en 1969), les guitares sont acérées, le titre « Electric » se termine en jam ressuscitant l’Expérience de Jimi Hendrix. Pour le reste le son est assez sixties, certains titres auraient pu se retrouver sur le mythique Nuggets de Lenny Kaye ou pas loin car les Schizophonics combinent les éléments les plus diaboliques de la musique high energy pour infecter les ondes des années 60 et 70, avec goût et habileté.

Le guitariste Patrick Beers livre à chaque nouvelle prestation live un furieux mélange de MC5 et de Little Richard dont il vénère les racines rock’n’roll. Il faut dire que Pat et Lety, sa compagne, ont fait leurs classes en backing band du grand Robert Lopez alias El Vez. Confirmation à Nantes lors de leur passage pour leur dernière tournée 2019, c’est dans un cadre proche des Machines de l’ile qui fut inaugurée en 2007 avec un concert d’El Vez que les « Schizos » prennent possession des lieux. Pat Beers très en forme, malgré un problème de panne de van dans la journée, ne laisse aucun répit à son auditoire, roule sur lui-même, il exécute même le « Trick », célèbre lancer du micro cher à James Brown. Le répertoire contient des morceaux prometteurs du prochain album. Lety Beers et le bassiste ne sont pas en reste et maintiennent le tempo jusqu’à quelques soli plus tard où un « Whole lotta shakin’ on » tonitruant de Jerry Lee et une reprise de Little Richard ravissent un public nantais conquis.

Avant leur conquête du territoire européen, nous avons eu le plaisir de faire le point avec Pat sur leur carrière et leur actualité…

Thee Savage Beat : D’où vous vient l’inspiration ?

Pat Beers (Schizophonics) : J’aime l’art et le style Mid-Century, les films, les vêtements, en plus de la musique. Les voyages, les tournées, les balades dans la nature avec mon chien, ça m’inspire énormément. A partir du moment où je suis en mouvement.

Comment vous êtes-vous rencontrés avec Lety ?

On s’était croisés au lycée. Lety jouait de la guitare dans un groupe de reprises des Ramones, je jouais de la basse lors de quelques répétitions, ensuite on s’est perdus de vue pendant quelques années. Finalement on s’est retrouvés, et ça a collé. On s’est mis à jouer ensemble quand on a déménagé à San Diego.

Pourquoi le nom « Schizophonics » ?

A l’origine, c’était un nom pour un groupe de soul, un projet qui n’a jamais abouti. Ça devait sonner comme un groupe du style Delfonics. On avait beaucoup de mal à dénicher un nom, donc on s’est rabattu sur celui-là, même si j’ai jamais été complètement fan.

C’était comment les tournées à vos débuts ?

Lors de nos premières tournées, on était en première partie de El Vez, donc on avait beaucoup moins de pression sur les épaules à l’époque. On n’avait pas la moindre idée de comment s’organisait ce genre de chose, et il nous a tout appris. Et surtout, il nous a montré que c’était possible. On a bénéficié de l’aide de formidables tourneurs et chauffeurs en Europe, mais tout l’aspect pratique, c’était Lety, qui appliquait ce que Robert nous avait enseigné.

Vous étiez aussi son backing band…

C’est l’expérience la plus formatrice qu’on ait eu en tant que groupe. Lety n’avait que quelques années d’expérience à la batterie, et j’étais novice dans l’écriture de chansons. On n’avait jamais joué soir après soir avant, ni appris quelque chose d’aussi complexe qu’un show de El Vez. On ouvrait avec notre propre set, et c’était un challenge chaque soir de prendre le dessus sur la foule. S’ils nous détestaient, on devait quand même revenir 15 minutes plus tard comme backing band. On avait cette grande vénération pour Robert en tant que performer, qui nous poussait toujours au-delà de nos limites. C’était comme un boot camp pour groupe de rock.

Avant les Schizophonics, il y a eu les Little Richards…

C’est venu de Robert Lopez (alias El Vez) et de notre amour commun et obsessionnel pour Little Richard, que j’ai toujours considéré comme l’incarnation parfaite de l’énergie du rock and roll. Ce groupe a apporté aux Schizophonics une couleur musicale qui manquait à notre son. Maintenant, on clôt chaque concert avec un titre de Little Richard, et dans notre prochain album il y aura un titre inspiré par lui.

« D’habitude j’ai peur de rencontrer mes héros, et si c’étaient en fait des abrutis ? »

Sur scène vos reprises vont de « Voodoo Child » d’Hendrix à « Kick out the Jams » du MC5. Y a-t-il une reprise que vous ne feriez pas ?

Une fois on a essayé de reprendre une chanson de Prince, ça sonnait affreusement, et on a réalisé que c’était un manque de respect à l’original. J’aime quand un groupe fait une reprise de quelque chose que je n’aime pas, et transforme ça en quelque chose d’excellent.

Parmi vos musiciens favoris, quelles rencontres vous ont marqué ?

On a rencontré récemment Wayne Kramer après un concert des MC5, il était cool, sympa. D’habitude j’ai peur de rencontrer mes héros, et si c’étaient en fait des abrutis ? Mais, par chance, j’ai trouvé la plupart de ces gars super sympas. J’ai la chance, je peux dire que la plupart de mes héros sont mes amis, comme Robert Lopez alias El Vez, Mike Stax, The Mighty Manfred et John Reis.

Que connaissez-vous de la France ?

On a fait une petite tournée en France l’été dernier. Les gens sont sympas et passionnés de rock and roll. On a hâte d’y retourner. J’adore jouer dans des endroits hors des sentiers battus, et voir du pays.

Qu’emmèneriez-vous sur une île déserte ?

Mon chien Beanie, ma guitare, mon LP « Chants R&B » (Norton Records).

Des projets ?

On rentre en studio et on va enregistrer 12 chansons pour le prochain album qui sortira je l’espère l’été prochain. J’ai hâte de jouer ces nouvelles chansons et de repartir en tournée.

Interview : Frédéric Quennec / Traduction : Nicolas Quennec

Article initialement publié dans Abus Dangereux #151 – (Juillet-Septembre 2019)

The Schizophonics en concert à Rennes (L’Ubu), lundi 27 janvier 2020.

Land Of The Living LP (Sympathy for the The Record Industry)

People in the Sky (Pig Baby US Records, 2019)

Ogga Booga EP (Pig Baby Records)

https://schizophonics.com/

https://www.facebook.com/TheSchizophonics/

Interview : Reverend Beat-Man

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Le Reverend Beat-Man, né à Bern en 1967, est sûrement le résident le plus rock’n’roll de suisse. Fondateur du label Voodoo Rythm qu’il a créé en 1992, personnage multi-facettes, amateur de comics, il a écumé le monde avec Lightning Beat-Man, son One Man Band, puis avec ses compagnons les Monsters. Aujourd’hui, c’est avec la belle Sister Izobel Garcia, sa muse mexicaine qu’il prêche son Blues Trash, cette association ne l’aura pas totalement assagi. J’ai ainsi pu assister à leur prestation à la scène Michelet à Nantes, un vrai sacrement religieux de rock’n’roll primitif ! Avant de partir à nouveau en tournée, Monsieur le Révérend a eu la gentillesse de répondre à quelques questions depuis Bern.

Thee Savage Beat : Un jour, tu as eu une vision mystique et tu es devenu le Reverend Beat-man…

Reverend Beat-man : J’ai tourné en Europe sous le nom de Lightning Beat-Man pendant environ dix ans, c’était un one-man-band du genre conflit intérieur autodestructeur. Un combat de catch où je me bats contre moi-même, et où je gagne toujours à la fin (rires). Quoi qu’il en soit, c’est devenu un gros truc et de plus en plus fou, j’ai fait des shows pour MTV, entre autres. Mon but était de me détruire à chaque show et me faire le plus de mal possible. Je me suis rendu compte que je n’étais pas GG Allin ni Iggy Pop et j’ai merdé, j’ai perdu ma voix pendant un an, je me suis cassé tous les os de mon corps, et je suis tombé en dépression. Et un jour, j’ai vu une lumière et j’ai vu toute ma vie exposée devant mes yeux (je précise que je ne prends pas de drogues). Ce n’étaient pas des personnes ou des choses qui m’ont guidé, c’était plus ou moins un sentiment qui m’a montré le chemin. Ça me disait d’écouter mon cœur et mes sentiments et d’aller de l’avant, de prêcher le Blues Trash et ma musique au monde entier. C’était en 1999, et c’est ce que je fais depuis. Je prêche aux gens de basculer dans le Blues Trash, dans le rock and roll et dans la musique en général. C’est ça qui nous relie, pas les politiciens ni les organisations religieuses qui sont manipulées. Non. C’est nous, c’est notre musique qui le fait.

A qui s’adresse ton église, la « Blues Trash Church » ?

C’est une organisation mondiale pour les losers et les désaxés qui veulent voir la lumière sans se faire enculer ni sucer des bites. La langue, c’est le Blues trash, le rock’n’roll et la musique marginale en général, l’électro minimaliste, le punk, le jazz… L’adresse est dans ton cœur, en cherchant bien, tu la trouveras.

De quel révérend de fiction te sens-tu le plus proche ?

Je me sens proche de Jésus, pour moi c’est le vrai rebelle, le pur anarchiste, le pur pacifiste, et je m’en fous si c’est juste une histoire. C’est tout simplement incroyable, il s’est fait tuer pour rien, juste parce qu’il est ce qu’il est, contre les régimes corrompus et disons-le, contre le capitalisme. En tout cas cette histoire n’a pas pris une ride. Ça nous montre que les gens prient Jésus et n’y comprennent rien, alors que ça a été écrit…. Ce que je pense, c’est que les gens ne comprennent pas les mots, ils ont besoin de rock’n’roll.

C’est vrai ce que l’on dit, c’est après avoir vu Motörhead et Iron Maiden en concert à la télévision que tu as décidé de devenir musicien ? Quels étaient tes autres sources d’inspiration ?

Non, c’est juste que ces deux groupes m’ont guidé dans la bonne direction. J’ai grandi à la campagne, à Berne, en Suisse. J’écoutais Status Quo (avant la période In the army now) et bien sûr AC/DC. Et puis il y avait la discothèque de mes parents, remplie de disques des années 40 et 50 – Elvis, Bill Halley, the Teddy Bears, et plein d’autres. J’étais fan d’Elvis et j’ai vu son show TV Aloha from Hawaii Via Satellite. A la fin des années 70 – début des années 80, on avait la chance en Suisse de pouvoir écouter la BBC, et puis il y avait cette émission radio pour les jeunes qui passait les nouveautés anglaises, et c’est comme ça que j’ai découvert la musique underground et je suis devenu accro. J’ai vu un parallèle entre Elvis et Motörhead, et une suite logique entre Status Quo et Iron maiden. Mais c’était la même chose, c’était pour me sauver. Ensuite, aux débuts des années 80, le groupe Venom débarqua, ainsi que Einstürzende Neubauten et je suis tombé amoureux de Howling Wolf et de Lightning Hopkins. Voilà, en gros. J’étais perdu et sauvé dans le même temps.

Tu partages aujourd’hui la scène avec Sister Izobel Garcia. Quel est ton lien avec le Mexique ? Aimes-tu ce que fait El Vez, le Elvis mexicain ?

Ce qui est marrant, en fait, c’est que El Vez est de Los Angeles (rires). Bien sûr j’adore les Mexicains, j’ai eu la chance de jouer là-bas, c’était juste incroyable. Izobel est née au Mexique mais elle aussi a grandi à Los Angeles, et y vit. Elle est fantastique, tout comme ses parents, et ses amis. Je me sens en osmose avec les gens de là-bas, je n’emploie pas le mot “pays”, pour moi c’est synonyme de prison, où l’on parque les gens. Ma communauté et ma religion sont universelles et sans frontières, on est comme des gitans, une tribu libre du Blues Trash, notre langage c’est la musique.

Il y a eu le titre « I’m not gonna tell you » où tu ne déclarais pas ton amour. Y a t-il un lien avec le titre « I never told you », sur le dernier album ?

« I’m Not Gonna Tell You », ça veut dire : J’en ai marre des gens qui me regardent comme un freak, j’en ai marre de devoir plaire aux gens, de faire de la musique pour faire plaisir au public, pour être jouée à la radio, ou pour avoir un article dans un magazine. J’en ai marre de devoir être dans la norme, je veux juste être moi-même et être accepté comme je suis. C’est ça le message de cette chanson, je pense. Il y a beaucoup de chansons sur les filles, mais pas celle-là (rires). C’est Izobel qui a écrit « I never told you », ça parle d’une ancienne relation qu’elle a eue, c’est ça l’idée derrière (rires). On joue ce titre chaque fois qu’on est ensemble sur scène, c’est une chanson incroyable à jouer.

Frédéric Quennec avec Reverend Beat-man

Ton label « Voodoo Rhythm » est basé en Suisse. Y a-t-il une raison à cela ?

C’est sûrement pas pour le rock’n’roll, en Suisse c’est quasiment le degré zéro de la culture rock’n’roll, c’est pas comme aux USA, en France ou en Allemagne, où il y a une forte histoire musicale, et les gens respectent ça. En Suisse, on est à fond dans le Top 100, c’est tout pour le fric, à fond pour l’argent qui dort à la banque, les rues sont nickel… Enfin, qu’est-ce qu’on peut faire de mieux comme contre-modèle ? Ici, dans mon pays, je peux me rebeller contre quelque chose de réel, et pas seulement ce que j’ai entendu aux infos, et, autre bonne chose, je ne suis pas seul. On a une petite mais très forte scène underground, on s’entraide et on se respecte. Comme elle est petite, on doit se serrer les coudes, avec la techno underground, l’électro rock’n’roll, le punk, le jazz avant-gardiste, etc… Grâce à ça, c’est, à mon avis, le meilleur endroit sur cette planète. Et j’aime le chocolat, la fondue et le rösti.

Il y a plusieurs albums du groupe Destination Lonely sur Voodoo Ryhthm, connais-tu d’autres groupes français ?

Il y a plein de groupes français fantastiques, le premier que j’ai connu c’était Los Carayos dans les années 80, puis les Thugs, Noir Désir, Les Wampas, et bien d’autres. Le premier groupe que j’ai produit, Stompin’ Harvey & The Fast Wreckers, était de Grenoble, je crois, en tout cas près de la frontière suisse. J’ai pas mal bossé avec Dennis à l’époque. Il y a aussi eu la collaboration avec Destination Lonely grâce à Gildas, ma connexion toulousaine (rires). Sans oublier Cécilia et Yvan (ex No-Talent NDT) de Paris. J’y suis allé pas mal de fois, et je suis tombé amoureux de cette ville. Ces temps-ci, j’adore ce que fait Lalla Morte, je suis un grand fan !

Tu crées les pochettes de ton label toi-même, d’où t’est venue cette passion ?

Mes pochettes de disque ont été inspirées de KISS et de Uriah Heep. Quand j’ai vu ces pochettes alors que j’étais à l’école, j’ai été hypnotisé par les histoires qu’elles racontaient, rien qu’à les regarder j’avais tout un film qui se déroulait dans la tête. Mais j’étais toujours déçu en écoutant la musique, ça correspondait pas à la pochette (rires). Déjà à l’école, j’imaginais des pochettes pour des groupes imaginaires, et quand mes parents ou mes profs me demandaient ce que je voulais faire plus tard, je leur répondais « dessinateur de pochettes de disques” (rires) Ils disaient que c’était pas un boulot, alors je disais « dessinateur de comics », et mes parents répondaient que ça non plus c’était pas un vrai boulot. Il y a une école en Belgique mais c’est pas la porte à côté. Finalement j’ai fait une formation d’électricien (rires). Mais je suis toujours resté passionné par la conception de pochettes de disques, puis j’ai monté mon label où je crée la plupart des pochettes moi-même.

Tu as partagé la scène avec notamment the Monks, quel souvenir en as-tu ?

The Monks, c’est un des meilleurs groupes et concerts que j’ai vus dans ma vie. Avec The Monsters, on a fait une battle de groupes contre eux, et ils nous ont éclatés sur scène. Ils avaient près de 80 ans, à cet âge c’est incroyable, faut les voir en personne, d’incroyables personnes âgées qui savent ce qui est de l’art et ce qui est des conneries. Vieillir comme ça, ça devrait être un but pour tout être humain sur cette planète.

A quoi ressemble ta vie en tournée ?

Pendant plus de 15 ans, j’ai dormi dans les toilettes, sur des sols froids ou sur la scène. Une fois j’ai même dormi sur un autel (rires). Tous les jours j’ai mangé de la pizza froide ou bien des chips, ou rien du tout. Maintenant que j’ai plus de 50 ans, je peux plus faire ça et je ne veux plus. Un invité doit être bien traité, c’est ce que je fais quand j’en reçois un, je lui offre le gîte et le couvert, et je veux la même chose, c’est le minimum, je pense que c’est honnête. Si personne ne venait à mes concerts je me contenterais de dormir par terre, mais mes concerts sont toujours complets, donc je mérite d’être bien traité. Une strip-teaseuse dans la loge, ça serait peut-être un peu too much… quoique (rires).

Tu fais une tournée en ce moment, qu’as-tu envie de dire au public qui va venir te voir ?

L’an dernier j’ai tourné pendant sept mois. Là j’ai fait un break avant de recommencer, je fais pas mal de shows avec Izobel Garcia, on commence à Tel Aviv puis on fait toute l’Europe et la Russie. C’est super de tourner avec elle. La plupart du temps je suis un one-man-band mais si vous avez de la compagnie en tournée, c’est l’idéal, et sa compagnie est la meilleure qui soit. On s’amuse tellement, venez nous voir pour voir la lumière ! On est pas virtuels, on est pas un chat Facebook, on est vrais, en chair et en os ! C’est pas du fake, peut-être qu’on est nuls, peut-être qu’on est incroyables, et c’est très bien comme ça ! Chacun de nos shows est unique, et j’espère que vous apprécierez ce que vous verrez et entendrez.

Quels sont tes projets ?

En fait j’en sais rien, je suis un peu dans une bulle, je laisse les choses venir à moi et je décide ce que je dois faire. Je vis au jour le jour, je ne sais pas ce que l’avenir me réserve. Je veux voir mon enfant grandir, je veux beaucoup de sexe et que la musique règne sur le monde !

Interview : Frédéric Quennec / Traduction : Nicolas Quennec

Paru initialement dans le Rock Hardi #55 (été 2019 – toujours disponible).

Liens Voodoo Rhythm / Reverend Beat Man:

Site de la Blues Trash Church : http://reverendbeatman.weebly.com/blues-trash-church.html

Site officiel : https://www.voodoorhythm.com/

Pages facebook : https://www.facebook.com/groups/26927843105/

https://www.facebook.com/reverendbeatmanofficial/

https://www.facebook.com/The-Monsters-official-123189661111110/

https://www.facebook.com/The-Monsters-143837132301574/

Interview : The Slits

De gauche à droite : Viv Albertine, Ari Up, Tessa, Palmolive

Interview : Paloma (Batterie) et Tessa (Basse) du groupe The Slits

Angleterre, fin des années soixante-dix. Les Sex Pistols crient leur haine sur « God save the Queen ». Pendant ce temps-là, The Slits, un groupe entièrement féminin, révolutionne le Punk et se démarque. Ces filles singulières ajoutent malicieusement au Punk des touches de Dub et de Reggae sur des hits comme «Typical Girls » en 1979. On a ainsi qualifié leur style de « Punky Reggae », un style proche du Clash de Joe Strummer dont Palmolive (batteuse des Slits) était la petite amie. Volontiers provocatrices, elles posent topless et couvertes de boue pour la pochette de leur album « Cut », dont on a fêté les 40 ans l’an dernier. Aujourd’hui un documentaire (« Here To Be Heard: The Story Of The Slits ») retrace leur parcours et leur rend hommage. Deux bonnes raisons d’évoquer avec Tessa et Paloma (Palmolive) leur passionnante jeunesse sauvageonne.

Thee Savage Beat : On a fêté récemment les 40 ans du mouvement Punk, qu’est-ce que cela vous évoque?

Paloma McLardy : Je suis étonnée que les gens parlent encore de nos groupes, et d’autres de l’époque. Cela montre qu’il y avait quelque chose d’unique et différent dans ce que l’on faisait.

Tessa Pollitt : Je ne suis pas très anniversaire. Le punk était pertinent à l’époque sur un plan politique, social, musical, sur notre façon de nous habiller, etc. Et ses prises de position sur la société ont permis d’abattre pas mal de barrières, mais je pense qu’on a fait le tour de la question. Pour certaines personnes je pense que l’attitude punk a perduré, mais il est impossible de répéter ce qui n’est plus.

Comment s’est fait l’album Cut ?

Tessa : On attendait le contrat d’enregistrement qui nous conviendrait, et on a choisi le label Island Records, qui avait signé les artistes les plus « non-commerciaux ». On contrôlait à 100% le processus créatif, c’est pour ça qu’on a pu créer une pochette de disque si iconique, cible de nombreuses critiques, mais aussi de l’admiration, pour son sens plus profond. On était traînées dans la boue et sans cesse attaquées. On a choisi Dennis Bovel comme producteur, le “Dub Maestro”. En Angleterre, dans les années 70, c’était l’âge d’or du reggae et du dub. Ça a eu une influence énorme sur nous, et Dennis pouvait faire le lien avec nos valeurs punk. On a mélangé les deux, et c’est comme ça qu’a émergé le “punky reggae”. Cut était critiqué par certains – pas aussi punk que les John Peel sessions. On a créé quelque chose de nouveau pour l’époque. Nos chansons étaient inspirées de notre vécu, sans prétention ni recherche d’un succès commercial. Si on a eu un impact à l’époque, j’espère qu’on a influencé d’autres femmes créatives à avoir du courage et à faire tomber des barrières.

Pouvez-vous nous en dire plus sur le punky reggae ?

Tessa : Les deux genres se heurtaient. La jeunesse noire avait pas mal de combats à mener, le racisme dans la société et dans la police. Il y avait aussi pas mal de factions et de violence à l’époque. On avait ensemble pas mal de motifs de rébellion communs. Comme d’autres, les Slits on décidé de défendre leur cause. L’influence du reggae avait imprégné notre musique, et je trouvais ça plus facile de jouer de la basse sur ce rythme-là, le offbeat. Donc, avec en plus l’influence de la world music et un tas d’autres choses, on a créé notre propre son. Je pense que le “punky reggae” est spécifique à l’Angleterre, vu qu’on a grandi ensemble avec la communauté caribéenne. Mais c’est une étiquette, et je n’aime pas les étiquettes. Un parfait exemple de punky reggae c’est une chanson qu’a fait plus tard Ari Up, “The World Of Grown Ups” (« il [le monde] est tellement corrompu » dit-elle). Elle écrit un vers dans le style reggae suivi par un refrain dans le style punk.

Quelles étaient les sources d’inspiration des Slits ? Le Velvet underground ? Patti Smith ? Autre ?

Paloma : Je n’étais pas trop intéressée par les paroles des chansons rock and roll, j’étais plus chanteurs protestataires. Je venais d’Espagne, et exprimer ses sentiments sur le statu quo et la vie en général, c’était très important pour moi.

Tessa : On baignait dans le reggae et la dub music aux débuts du punk, donc ça été une grande influence. Les Ramones et Patti Smith évoquaient pour nous une nouvelle énergie excitante. Nico est venue nous voir un jour en concert au Gibus à Paris. Elle n’a pas reconnu notre version de “Femme Fatale” du Velvet Underground, sans doute un petit peu trop punk pour elle ! Je l’ai vraiment connue plus tard à Londres, on a traîné ensemble. Je l’ai toujours admirée, en solo ou avec le Velvet.

On a dit en parlant des Slits « A côté de ces filles, les Sex pistols sont des enfants de choeur ! » – C’était le cas ?

Tessa : Cette citation est signée de « The News of The World », un journal de caniveau qui n’existe plus aujourd’hui. Il essayait de faire du sensationnalisme avec la nouvelle génération. Il est à noter qu’il ne pouvait pas imprimer le nom de notre groupe 100 % féminin (« The Slits » signifiant « Les Fentes » NDT), car c’était trop vulgaire pour un « journal familial » ! Par contre imprimer « The Sex Pistols » ça les dérangeait pas ! C’est un exemple parfait de l’hostilité envers des jeunes femmes qui essayaient de changer la perception que la société avait d’elles. Pour les garçons, c’était acceptable d’être rebelles et sauvages, c’était tellement rock’n roll ! Pour les filles, être choquantes, c’était nouveau et effrayant, et la société n’était pas prête. Donc, on était juste différentes, on essayait pas de copier l’exemple masculin pour se fondre dans le moule. On était féminines et sauvages, sans entraves.

Comment le punk est-il rentré dans vos vies ?

Paloma : A l’époque j’étais à un tournant de ma vie, à la recherche de quelque chose de différent. J’en avais marre de la scène hippie, c’était devenu chiant. Et puis, j’étais influencée par Joe Strummer avec qui je vivais à ce moment-là, il m’a initiée au Punk. J’adorais le « do it yourself », se déguiser et faire la folle, être capable de s’exprimer… Je me sentais en osmose avec la batterie, car j’avais le rythme dans la peau. J’adore danser.

Tessa : Je suis née au bon endroit, au bon moment. Avoir 16 ou 17 ans ça impliquait avoir une angoisse existentielle et une envie de changement. Sur le plan politique, il y avait peu d’espoir pour notre génération, et étant d’une nature créative, le pas était facile à franchir. Et puis en tant que jeune femme, il y avait pas mal de combats à mener. On ne comptait pas laisser la société nous formater. « Punk » c’était un mot dont nous avaient affublé les médias, parce qu’ils ne comprenaient rien à ce qu’il se passait. On était furieuses et on ne pouvait plus supporter ça ! C’était le tour de notre génération de changer les choses.

Paloma, vous avez quitté The Slits avant le premier album « Cut » et The Raincoats après leur premier album éponyme et jouée brièvement dans les Flower of Romance avec Sid Vicious. Donc, peut-on dire que vous étiez la plus punk du groupe ?

Paloma : J’en sais rien. Sid Vicious m’a virée du groupe Flower of romance au bout de deux semaines, parce que je voulais pas coucher avec lui. Vivian m’a virée du groupe The Slits, avant de faire le LP. On avait plein de désaccords sur la fin. Ensuite j’ai intégré les Raincoats. Mais j’étais fatiguée de la scène et j’avais besoin de changement. Si le fait de ne pas se soucier pour l’argent ou d’un plan de carrière fait de moi quelqu’un de plus punk, alors oui, c’est vrai, j’en avais rien à faire. Il était plus important d’être honnête avec moi-même.

Tessa : Pas d’accord ! Je ne pense pas qu’une personne soit plus punk qu’une autre. Ce n’est pas une compétition, qui veut être l’archétype du punk ? L’idée c’est d’être soi-même et de ne pas copier les autres, se construire au fur et à mesure. Il n’y avait pas de règles, juste le Do It Yourself. J’aime et je respecte Palmolive, et notre amitié a résisté aux épreuves du temps. Je n’ai pas de critique à lui formuler. Le groupe a changé de cap après son départ et la dynamique a changé, mais ce n’est ni bien, ni mal, juste un changement.

Kurt Cobain, leader de Nirvana, a mis “Typical Girls” dans son top 50 de ses chansons préférées de tous les temps. Il était fan des Raincoats. Aimiez-vous sa musique ?

Paloma : J’étais déconnectée de toute la scène musicale à ce moment-là. Mais il a vraiment été très influent dans le fait que les Raincoats soient connues aux USA.

Tessa : Je dois dire que Nirvana est un de mes groupes favoris. En fait, quand ma fille adolescente Phoebe les écoutait dans sa chambre, je criais en bas « Mets plus fort ! ». C’est donc un immense honneur que Kurt Cobain nous ait incluses dans son Top 50. Je pourrais dire la même chose d’eux !

Quels groupes actuels se rapprochent le plus de l’état d’esprit de l’époque?

Tessa : Le seul groupe qui me vient à l’esprit, c’est Pussy Riot, mais je ne suis pas très au fait de la musique actuelle, par contre je suis passionnée par le reggae et la world music. De toute façon, qui a envie de prendre comme référence les années 70 ? On doit continuer à évoluer et à explorer de nouveaux territoires !

Connaissez-vous des groupes français ?

Tessa : Je peux citer les Guilty Razors un groupe de Paris à l’époque, de la fin des années 70. Ils se sont occupés de nous et on a partagé la scène quand on jouait régulièrement au Gibus. On s’est bien amusé et on en a gardé des très bons souvenirs. Plus récemment, sur la scène rap, je pourrais citer MC Solaar.

Êtes-vous déjà venues en France, si oui quels souvenirs en gardez-vous ?

Paloma : On a fait une tournée et j’ai joué une seule fois à Paris. C’était vraiment amusant, le feeling des punks français était différent, ils étaient plus relax !

Tessa : Oui ! Avec les Slits on est venu plein de fois en France, dans différentes villes. J’aime beaucoup la France. Le souvenir le plus fort que j’ai de votre pays, c’est quand j’ai voyagé à Paris avec Neneh Cherry, ma chère amie et ancienne membre des Slits. On est passé devant un petit bar et on a vu que Nina Simone allait jouer ce soir-là. Elle avait connu Don Cherry, le très talentueux trompettiste de jazz, une personnalité unique, et aussi le papa de Neneh ! Donc, on s’est assises en face de Nina Simone alors qu’elle jouait du piano, elle nous a souri tout le long, et j’étais pleine de respect et d’admiration devant sa prestation, une vraie légende. Jamais je n’oublierai ça, quel plaisir, quelle pure inspiration ! C’était comme dans un rêve, un souvenir à jamais dans mon cœur !

Interview : Frédéric Quennec / Traduction : Nicolas Quennec

Interview initialement parue dans Rock Hardy #55 (été 2019)

Liens Slits :

Non-official website :http://www.theslits.co.uk/index.html

Page facebook : https://www.facebook.com/theslits/

Page Officielle Palmolive: https://www.punkspalmolive.com/%E2%9D%A4%EF%B8%8F?fbclid=IwAR0H1bMFZgot2PYYZEzlm8Qtthn1osr7T6_o_pMqIZEIBL3oiXl3sGX4v5A

Here to be Heard Film Doc: https://www.facebook.com/slitsdoc/

Site Here to be Heard shop : https://shop.bfi.org.uk/here-to-be-heard-the-story-of-the-slits.html#.Xhyr1yNCeUk

Interview : James Lowe (Electric Prunes)

Comme la plupart des gens qui n’ont pas connu les sixties, j’ai découvert les Electric Prunes par la célèbre compilation « Nuggets » (« Original Artyfacts From The First Psychedelic Era 1965-1968 ») initialement sortie en 1972 par le guitariste du Patti Smith Group, Lenny Kaye. Elle contenait leur hit de 67 « I had too much to dream (last night) ». En 1998, Rhino Records eut la riche idée de la rééditer en version box set avec quatre disques avec de nouveaux groupes garage américains 1965-1968 méconnus, agrémentée alors d’un titre supplémentaire des Prunes « Get Me to the World on Time ». Cette compilation « Nuggets » est une référence dans laquelle apparait pour la première fois le mot « Punk rock » et la plupart des combos dits « garage » y voient une forte source d’inspiration. Je notais que certains garage bands 60’s sortaient du lot comme les Seeds, les «Thirteenth Floor Elevators» de Roky Erickson, les Standells, les Shadows of night, les Count Five. Un ami me fit découvrir un jour le premier album des Electric Prunes « I had too much to dream (Last night) » ainsi que le « Live Stockholm ’67 » et je réalisais alors comme ce groupe était précieux. Précurseurs du genre garage psychédelique au même titre que les « 13th Floor », ils avaient même réussi à figurer sur la BO du road movie de Dennis Hopper : « Easy rider ». J’ai eu la chance d’interviewer (merci internet) James Lowe, chanteur et membre fondateur du groupe, et ce fut l’occasion de parler de sa longue carrière.

Thee Savage Beat : Bonjour James! Que faisais-tu avant d’intégrer le groupe Electric Prunes?

James Lowe : Je suis originaire de Los Angeles et après mes études je suis parti vadrouiller à Hawaï, j’ai travaillé sur un voilier, j’ai fait du surf, et je me demandais quelle serait la suite…

Comment en es-tu venu à chanter ?

Je jouais de la guitare dans des petits bars avec un ami qui avait un banjo. Ça m’a donné le goût de la scène. On n’était pas très bons, mais on était sans doute les seuls gars à jouer du bluegrass à Hawaï. Je ne me souviens pas bien quand je me suis mis au chant. C’est venu un peu comme ça.

Comment s’est déroulé ta rencontre avec les autres musiciens (Mark Tulin, Ken Williams, Mike Weakley et Dick Hargraves) ?

Je suis retourné sur le continent et j’ai commencé à chercher des gars avec qui monter un groupe… La première formation c’était Mark, Ken et moi. Ils étaient à la fac, donc ça se passait après les cours. Mike Weakley était le petit ami de la sœur de ma femme, il était un bon batteur, donc il nous a rejoints. On s’appelait les Sanctions, et on était quatre. On voulait enregistrer un disque, répéter et on n’a pas fait de concert. Après ça, on s’est rebaptisés Jim and the Lords, je me souviens plus très bien pourquoi. Un jour, on répétait dans le garage quand une fille est arrivée et a dit qu’elle connaissait quelqu’un qui enregistrait les Rolling Stones, et qui cherchait un groupe à produire. Tout était vrai et c’est comme ça qu’on a été présentés à Dave Hassinger.

Quel était l’atmosphère de l’époque? Tu as vécu le psychédélisme de l’intérieur. Avais-tu conscience de marquer l’histoire ? Quelles ont été les rencontres qui ont permis de participer à la compilation Nuggets ?

Il y avait plein de groupes garage qui éclosaient partout après le carton des Beatles aux USA (phénomène du « British invasion »). On ne pouvait pas échapper à l’humeur ou à l’excitation que la musique produisait, et les problématiques sociales jouaient un rôle important dans les paroles et la musique. Je savais que ça allait changer la société parce que c’était tellement puissant où que nous allions. On voulait produire de la musique qui utilisait les innovations de l’électronique qu’on retrouvait dans les processus enregistrement. Une voix « électrique », c’est ça qu’on cherchait. On n’a jamais su qu’on était sur Nuggets avant les années 90. J’ai quitté le groupe avec l’idée qu’on ne peut pas vivre de la musique et je n’ai jamais reconsidéré la chose avant 1999. Quand mon fils m’a dit qu’on était sur ce disque, je n’y croyais pas.

Qui composait dans le groupe ? Annette Tucker et Nancie Mantz ont composé I had to much to dream last night, qui composait le reste des morceaux?

Notre producteur, Dave Hassinger, détestait notre écriture à Mark et moi, donc on a dû lui dire que d’autres personnes avaient écrit les paroles. Annette était une de nos amies et elle écrivait des paroles que Dave aimait. On voulait jouer nos propres compositions, c’était le seul moyen pour un groupe de s’exprimer. A part ça, on ne faisait pas de reprises, donc on a écrit ce qui pouvait être accepté, et Annette Tucker, Jill Jones et Nancy Mantz ont écrit le reste.

Quelles anecdotes amusantes peux-tu nous conter sur cette époque?

Il y a plein de choses dont je ne peux pas parler… on a saccagé pas mal de chambre d’hôtel, mais ce n’était pas si terrible que ça. Je ne pense pas qu’on ait brisé grand-chose sauf peut-être quelques cœurs. Pour moi ce n’était pas une période très amusante.

Quelle rencontre t’a le plus marqué ?

Je me souviens être allé chez Jimi Hendrix en Angleterre, me disant à quel point c’était cool de traîner avec lui, de regarder des films amateurs, et de fumer des splifs. Souvent ça a été comme un rêve de rencontrer des gens que vous admirez, et qui étaient exactement comme vous les imaginiez. Quelques-uns nous ont déçus, mais la plupart étaient contents d’être dans le tourbillon des sixties. Il y en avait beaucoup qui gravitaient autour. Tout le monde semblait être sur la même longueur d’onde. Aujourd’hui tout semble éparpillé, il y a de la division et pas mal de colère. Moi je me souviens avoir fumé, un peu et rit beaucoup.

Tu as vécu une époque libérée, quelle est la chose la plus folle que tu aies faite ?

On avait l’habitude parfois de voyager dans un break aux USA. Pour faire des économies on chargeait la voiture avec nos amplis Super Beatle et on tractait une remorque avec d’autres équipements dedans. Un hiver il neigeait, et la remorque, le break et nous avec, avons glissé, on est sorti de l’autoroute, et on s’est retrouvés dans un ravin. Au moment où on est arrivés au concert à Cleveland la rumeur s’était répandue qu’on était morts dans un accident de voiture, et c’était amusant d’arriver là-bas comme des fantômes… personne n’a été blessé.

A propos de vos expériences de concert, comment était l’ambiance?

A l’époque il n’y avait pas encore le phénomène de concerts conçus pour les stades. Les groupes utilisaient leurs propres amplis et leur propre matériel pour jouer, et le son était souvent épouvantable et on ne savait jamais ce que ça allait donner. La plupart du temps, c’était très fort et déformé, pas de retours, pas d’ingénieur du son… juste la grande loterie. Le public était super, on se déplaçait en break, avion, limousine pour aller aux concerts. On ne s’attendait pas à devoir promouvoir un disque par des concerts donc c’était totalement nouveau pour nous. Jusque-là, on avait juste joué dans un garage. Cette tournée était très dure et éreintante. Je pense que ça a conduit à la fin du groupe. On a joué avec les Doors, Cream, The Who, The Move, Soft Machine, The Beach boys, Question Mark, Left Bank, The Seeds, Paul Revere and the Raiders, The Turtles, etc….

Comment s’est passé le deal avec votre maison de disque Reprise ? Percevez-vous toujours des droits aujourd’hui sur les enregistrements ?

On a signé avec Dave Hassinger’s Production et pas directement avec Reprise. Je pense que ça a été une erreur, vu que la maison de disque préférerait plutôt promouvoir ses propres artistes et pas ceux du label de Dave. On a percé dans les charts, et Reprise a été très gentil avec nous après ça, mais on a eu très peu de promotion. Vu qu’on était auteurs-compositeurs, on touche encore des royalties, et ça doit être une leçon pour tous les groupes débutants… Écrivez votre propre musique, ça ils ne pourront pas vous l’enlever ! Les chansons, c’est tout ce qu’on possède, une fois que vous avez signé.

Quelles étaient tes drogues favorites, et penses-tu que à cause d’elles cela a été un frein créatif ou au contraire ça t’a permis de découvrir de nouvelles dimensions?

Mon grand-père me disait de tout essayer, mais de ne jamais devenir dépendant de quoi que ce soit, et ça a toujours été mon mantra. Si tu n’es pas bien sans la drogue, il y a peu de chance que tu le sois avec. Je pense que ça stimule les idées et les pensées, mais la plupart du temps on ne jouait pas défoncés. Ceci dit, je préfère fumer plutôt que prendre des pilules, ou quoi que ce soit que je ne peux pas contrôler ou maîtriser. Être en studio avec des types défoncés, c’est une plaie. Je préfère des gens au meilleur de leur forme dans cette situation. Ce n’est pas une leçon de morale, ça a plutôt à voir avec l’efficacité et le fait de bien jouer.

As-tu entendu des reprises de I had to much to dream last night parmi Todd Tamanend Clark, Wayne County & the Electric Chairs, Stiv Bators, The Damned, The Vibrators, Doro Pesch, Paul Roland?

Oui, on en a entendues quelques-unes depuis notre reformation en 1999. Avant, ça ne nous intéressait pas. J’aime les reprises, et je pense que c’est flatteur d’entendre quelqu’un d’autre jouer votre chanson. Je préfère ceux qui apportent leur touche personnelle, plutôt que ceux qui singent ce que l’on a fait.

Qu’as-tu fait après avoir quitté Electric Prunes ? Peux-tu nous dire où est-ce que tu vis aujourd’hui ? Quels sont tes projets ?

Après avoir quitté le groupe, j’ai produit et enregistré des albums pour Nazz, Todd Rundgren, les Sparks, Ananda Shankar, Ry Cooder, Foghat… ensuite, j’ai travaillé à la télévision, j’ai produit et réalisé des émissions et des pubs. La musique était loin derrière moi jusqu’à ce que David Katznelson de Warner Bros nous encouragea à réaliser une anthologie de nos albums des années 60 intitulé « Lost Dreams ». On a eu quelques invitations à jouer en live, et c’était reparti. On a reformé le groupe en 1999 avec les membres d’origine, et on a enregistré ARTIFACT en guise d’album de la reformation. Certains des gars du groupe vivotaient et étaient un peu fauchés. Mark Tulin et moi avons enregistrés d’autres albums dans mon home studio “Hole in the Sky” à Santa Barbara. On a donné des concerts au Royaume-Uni, en Grèce, à Amsterdam, en Espagne, en Suède, en Allemagne, en Italie, à Tokyo, à San Francisco. Beaucoup de gens ne nous connaissent pas, ni nos disques, mais on a fait ces enregistrements pour nous-mêmes, pas pour un producteur ni pour qui se soit. Artifact, California, FEEDBACK, Return to Stockholm (live), WaS!* On continue à jouer quand on est invités et que ça a du sens, et je vis ma vie sous les tropiques le reste du temps. Je pense qu’on doit faire de la place pour les jeunes, et voir de quoi ils sont capables. Nous on a donné notre contribution … Et c’est très bien comme ça !

Interview : Frédéric Quennec / Traduction : Nicolas Quennec

Interview initialement publiée dans le fanzine Dig It ! (#74).

Facebook de James Lowe

Liens Facebook Electric Prunes :

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Official website:

http://www.electricprunes.com/

http://www.electricprunes67.com/

Interview : Sonny Vincent

L’histoire de Sonny Vincent ressemble au scénario parfait d’un film qui verrait un desperado rock’n roll devenir une véritable icône. Mais ce n’est pas un scénario, c’est la réalité d’un véritable rock’n’roll hero, avec sa passion et sa fougue. L’authenticité de sa musique se manifeste dans chaque intro de morceau, et on ne peut décrire la réaction du public à ses performances live qu’avec des mots comme « possédé », « intense », « sauvage ». Sonny est né à New York et a grandi dans ses rues et dans ses clubs. À 13 ans, il vit en toute illégalité dans un dortoir pour filles sur le campus de l’université de NY. À 14 ans, il fait son premier concert au Village. À 15, il fait un séjour dans une maison de redressement. Pendant tout ce temps, il n’arrête pas de composer et de jouer sur sa Gibson Les Paul 1969. Sa musique nous crie toute la douleur mais aussi l’excitation d’une vie sauvage et âpre. Plus on découvre les détails de sa vie, et plus on songe qu’on pourrait en faire un film. Mais tout est déjà dans la musique… il suffit de tendre l’oreille. Aujourd’hui, sort un tribute à Sonny Vincent pour soutenir sa famille victime d’un tragique accident, l’occasion de faire le point sur sa situation actuelle et d’évoquer sa vie dévouée au rock’n’roll.

Thee Savage Beat : Bonjour Sonny, que fais-tu en ce moment ?

Sonny Vincent : En ce moment, je prends soin de mon petit-fils de 12 ans en Caroline du Nord. Il a été victime d’une terrible explosion de gaz suivie d’un incendie, ainsi que mon fils et ma belle-fille. Ils ont été blessés grièvement. J’ai accouru pour les secourir. J’ai mis entre parenthèses ma vie en tournée et en studio. Je vivais en Hollande comme artiste et musicien, mais tout s’est arrêté quand j’ai pris l’avion pour aller à l’hôpital aux États-Unis. Mon fils et ma belle-fille doivent vivre à proximité de l’hôpital qui est à 240 km de l’endroit où je vis avec leur fils. Ils ne peuvent pas s’occuper de lui, à cause de leur état de santé. Il était important que mon petit-fils Cayden vive près de l’école où il allait avant l’accident, pour pouvoir profiter de la gentillesse et de la solidarité de ses amis. Ça fait trois ans que je suis à son chevet pour l’aider à guérir. Je le protège et je l’élève. Je le réveille tous les matins, et je le mets au lit tous les soirs, et il y a toutes les autres responsabilités quand on s’occupe d’un enfant de douze ans ! J’ai des activités « normales », comme faire les courses, et assister aux évènements de l’école. Je ne suis pas complètement intégré dans la communauté locale, mais les gens font des efforts et je fais de mon mieux. Avec Cayden, on passe beaucoup de temps dans les rendez-vous médicaux, et je veille à ce qu’il reste impliqué dans des activités comme les boy-scouts et le foot. On rit souvent ensemble ! Je fais parfois aussi le week-end les 240 km qui le séparent de ses parents pour des moments précieux avec eux. On a demandé un jour à un grand poète quel chemin honorable il choisirait s’il n’avait pas été un poète, si tous les choix lui étaient possibles. Il a répondu que la plus grande des vocations qu’il choisirait, ça serait d’être une « Mère ». En ce moment, je vis son rêve !

Aujourd’hui sort ton tribute dans ces conditions particulières, aurais-tu pensé un jour que sortirait un tribute à ton nom de ton vivant ?

C’est très sympa que cet hommage sorte. 76 groupes ont donné leurs chansons pour m’aider à prendre soin de ma famille après ce tragique accident. Le mois prochain une sorte d’ autre album hommage sortira également. Dans cet album, des groupes reprennent des titres des Testors, mon groupe new yorkais du milieu des années 70 qui jouait souvent au Max’s Kansas City et au CBGB.

Quelles sont les meilleures paroles de chansons de Sonny Vincent ? Quels sont les meilleurs titres du Tribute to Sonny Vincent ?

J’aime les paroles de ma chanson « It’s Only Death”. Dans l’hommage il y a plein de super titres, en ce moment mon favori c’est “Knife For An Eye”. Certains trucs hardcore influencés par le punk sont vraiment bien. Et puis vous pouvez écouter la chanson « Mystery » des ‘B’ Girls, qui n’est pas du tout sur le même registre. Cela dit il y a beaucoup de superbes chansons, et on peut écouter l’album pendant des heures, de KFE à Tav Falco en passant par James Williamson !

Avais-tu des héros quand tu étais jeune ? Qui sont-ils maintenant ?

J’en avais quelques-un quand j’étais gamin, mais bien sûr ça change quand on devient adulte. C’est pas facile d’avoir des héros quand on ne les a jamais rencontrés en personne. D’après ce que je sais d’eux, j’aime Robert Kennedy et Jimi Hendrix. J’aime le travail de Visconti, Jean-Luc Godard, Jean Paul Sartre, Yayoi Kusama. Et puis on aime tous Serge… Le Mahatma Gandi ? Little Richard ? Mais des héros ? Non, je ne vois pas vraiment les gens comme des héros, exception faite de tous les fans, les amis, et les anges qui m’ont aidé à traverser ces trois dernières années. Ce sont eux mes vrais héros. Sans leur aide on aurait été complètement perdus. Le système de santé américain a beaucoup de tares. Et il n’y a eu aucun organisme pour m’aider à tout gérer. Aucun. Mais quand il y a eu ce tragique accident ma tribu est venue à ma rescousse en m’envoyant des dons et en apportant une aide. Je suis très touché par ces effusions d’amour et de gentillesse. J’ignorais que j’avais autant de soutiens. J’en suis très reconnaissant.

Le truc le plus dingue qu’il te soit arrivé dans ta jeunesse, c’était quoi ?

Il m’est arrivé plein de trucs dingues. Je me suis retrouvé seul dès l’âge de 13 ans. J’étais grand et je mentais toujours sur mon âge, je disais que j’étais plus vieux. Je fuguais. Je traînais dans la Factory d’Andy Warhol, une fois j’ai même dormi sur un canapé là-bas. Le lendemain je suis allé à Westchester et deux flics ont commencé à me poser des questions. J’étais désinvolte et arrogant, et ils ont décidé de m’arrêter pour vagabondage. Ils essayaient de me menotter mais je me débattais farouchement. On s’est tous retrouvés par terre, à gigoter et à lutter au corps à corps. Par accident, les policiers se sont menottés mutuellement, et je me suis vite enfui. J’ai savouré l’instant, et bien sûr ça m’a bien fait rire, surtout que je n’étais pas un criminel, juste un gamin qui arpentait la rue et que la police voulait harceler. Plus tard ils m’ont forcé à m’engager dans les Marines (USMC), ils pensaient que ça allait me remettre dans la bonne voie. Quelques années plus tard je jouais de la guitare, j’enregistrais un disque, et je tournais avec Moe Tucker et Sterling Morrison du Velvet Underground. On a passé des années sur la route dans un van à sillonner les États-Unis et l’Europe. Ils étaient un peu plus âgés que moi, et j’ai reçu d’eux beaucoup d’amour. Ils ont en quelque sorte fait mon éducation, ce qui a compensé celle destructrice qu’ont voulu m’imposer ma famille et le gouvernement. C’était comme si Moe et Sterling étaient ma grande sœur et mon grand frère. Cela m’a mis sur le bon chemin. Moe m’a appris, bien plus que n’importe qui d’autre, à être responsable, à comment me comporter avec les autres, et à être quelqu’un de bien. Mais aussi à avoir des scrupules et à être consciencieux. En tant qu’enfant de la rue à New York, personne ne faisait mon éducation. J’ai simplement appris de la rue les bases pour survivre.

Quel est le sentiment d’enfermement le plus terrible que tu aies ressenti dans ta jeunesse et te sens-tu libre aujourd’hui ?

Être en prison, ça craint. J’avais pas de chance ou peut-être était-ce de l’arrogance, mais je me faisais tout le temps choper pour de l’herbe quand j’étais jeune. Au mauvais endroit, au mauvais moment. Je ne fume plus aujourd’hui, et voilà qu’ils se mettent à la légaliser ! En fait, j’ai passé pas mal de temps en prison à cause de ça… Et aussi à Paris, soit dit en passant ! J’avais acheté du hash à un type juste en face du commissariat, je ne savais pas ce que c’était. Il y avait de jolies lumières couleur lavande, et je n’ai pas réalisé ! Sinon, je ne me sens pas libre aujourd’hui mais bon je ne suis pas dans un goulag non plus…

Quand tu étais adolescent, au moment des Testors, notamment, comment voyais-tu ton avenir ? Aujourd’hui, s’il y a une chose que tu regretterais dans ta vie, ce serait quoi ?

Avec les Testors on était déterminés à faire ce que nous considérions comme quelque chose de «vrai ». On avait quelques fois des visions de grandeur, on pensait conquérir le monde, mais on n’a jamais rien fait pour avoir un succès commercial. Les Testors aujourd’hui sont à la place où ils doivent être. Très peu connus, et invisibles dans les médias. Pour trouver les Testors, on doit faire la démarche d’aller au-delà de la promotion et du marketing. Quand quelqu’un découvre les Testors, il trouve en eux des éléments auxquels se connecter. J’ai entendu dire que c’était souvent une révélation pour les gens, ce qui me fait plaisir. On a réussi à garder ça vrai. Sinon, un de mes regrets dans la vie, c’est de ne pas avoir déménagé à Boston pour suivre le cours de Noam Chomsky. Il a enseigné longtemps, et j’ai raté ça.

Tu as toujours été dans la rébellion. Peux-tu nous parler de la bagarre avec Lenny Kaye ?

J’avais le problème classique de rébellion contre l’hypocrisie et ce qu’on appelle « l’autorité » quand j’étais gamin et jeune homme. La police a vraiment failli me tuer plusieurs fois. La bagarre avec Lenny en fait c’était pas grand-chose, juste une petite rixe. C’était une émission de radio diffusée en direct, on s’est engueulés et ça a dégénéré. Un an après quand on s’est revus on avait tourné la page. Lenny c’est un bon gars. Je répondais sincèrement aux questions pendant l’interview, et Richard Hell et Lenny étaient en train de discutailler sur Rimbaud dans une émission de radio qui était censée être consacrée à la performance de mon groupe les Testors. Je pouvais pas le supporter, alors j’ai tiré sur la chaise de Lenny et on s’est bagarrés. J’aurais pu réagir autrement. Pendant qu’ils développaient leur « thèse » j’ai quitté le studio pendant un moment. J’ai traversé la rue pour aller chez un disquaire et on m’a donné une énorme quantité de cocaïne. J’avais jamais fait ça avant et quand je suis retourné au studio, Lenny et Richard discutaient maintenant « existentialisme ». Je pense que je voulais leur montrer ce qu’est la véritable anarchie ! Après tout c’était censé être une interview « Testors » ! Des années plus tard Richard Hell a enregistré avec moi. C’est quelqu’un d’adorable, je l’admire profondément. L’incident n’eut pas de conséquence, c’était juste un truc de gamin un peu sauvage.

Qu’as-tu fait de rebelle ces derniers temps ?

Je sais que ça va sembler dramatique, mais la chose la plus rebelle que j’ai fait récemment c’était d’aller dans un établissement de soins palliatifs où ils ont envoyé Sarah, la mère de Cayden, pour qu’elle y meure parce qu’ils n’avaient pas réussi à la soigner. J’ai organisé une opération clandestine illégale avec ma fille Michelle, et on aurait pu se faire arrêter par la police. Quoi qu’il en soit, on l’a sortie de là, et on a obtenu une injonction du tribunal pour que l’hôpital la reprenne. Elle a survécu, même si elle a dû être amputée de ses jambes, mais elle est très heureuse, et j’emmène souvent Cayden la voir. Ils dégustent ensemble des cookies faits maison. Qu’aurais-je pu faire d’autre ? Dire à Cayden « Ta mère est morte à cause d’une stupide erreur médicale » ? Pas question ! Je me suis battu farouchement. Si je n’avais pas ce caractère rebelle, elle ne s’en serait pas sortie. Je ne cherche pas les éloges, c’est juste que je suis comme ça. Écoutez les premiers Testors, il y a mon empreinte et mon ADN.

Quelle est la meilleure formation que tu aies connue ? As-tu des anecdotes ?

Les meilleures formations : Testors et Sonny Vincent and The Extreme. En solo, ça serait tout ce que j’ai fait avec Scott Asheton (Stooges). Mais c’est quasiment impossible à dire. Mon travail avec Bobby Stinson (Replacements) a atteint des sommets. Les formations avec mes amis allemands Stephan and Bernward ont produit des enregistrements incroyables. Il y a aussi The Bad Reactions, The Hit Squad. Et puis Spencer P Jones des Beasts of Burbon a joué avec ma formation Shotgun Rationale, et il était fantastique. J’ai 25 albums originaux au compteur et j’ai été en tournée toute ma vie. Il y a eu tellement de musiciens talentueux et dévoués qui font partie de ma tribu, difficile de dire quel est le meilleur.

Sinon, j’ai tellement d’anecdotes… Une me vient à l’esprit. Une fois en Suisse, je faisais la première partie de Wayne Kramer des MC5. Lors de cette tournée j’avais un batteur allemand qui ne maîtrisait pas très bien l’anglais. Je lui ai dit avant le show d’y aller mollo sur les cymbales. Après le show, Wayne m’a complimenté, mais il m’a dit : « La vache ! Ton batteur a la main lourde sur les cymbales ! ». Le gamin avait compris le contraire, il avait frappé comme un fou sur les cymbales toute la soirée !

Quelles sont tes meilleures expériences de concert ?

Mes meilleurs concerts quand j’étais jeune musicien c’était de jouer dans des endroits où personne ne connaissait le punk rock. Des fois, dans les débuts, ils pensaient que ce n’était que du bruit. Une fois à Philadelphie au milieu des années 70, notre concert a tourné à l’émeute. La moitié du public nous adorait, ils criaient « James Williamson! James Williamson!” – je ne savais même pas qui c’était à l’époque. Mais l’autre moitié du public nous détestait vraiment, et ils ont renversé la sono, ils l’ont littéralement détruite, et ils ont arraché mon guitariste de la scène ! Ce fut un énorme fiasco. Mais on s’y attendait un peu, notre musique c’était pas vraiment des berceuses, elle était complètement viscérale, directe et très énervée. A l’époque, les chansons qui passaient à la radio étaient très soft et très produites. C’était difficile au début pour certaines personnes d’accepter notre approche radicale.

As-tu des souvenirs de rencontres avec des célébrités ? Si oui, comment cela s’est-il passé ?

J’ai eu quelques rencontres décevantes avec des célébrités. J’ai vraiment pas envie de débiner les gens, et j’ai pas envie de donner des noms, mais c’est souvent les gens qui sont dans le milieu musical, qui se la jouent humbles, intellos, accessibles et faciles à vivre et, une fois qu’on les a rencontrés, on se rend compte que ce sont des connards à l’égo démesuré. C’est très décevant. A propos de célébrité, il y a une anecdote qui me revient. Une fois je vois James Brown dans un aéroport, plus tard dans l’avion je vois qu’il est seul et je vais l’accoster pour un autographe mais je n’ai pas de papier… Qu’à cela ne tienne, je sors mon passeport et je lui demande de signer dessus. Dubitatif, il me demande si je suis sûr, et je lui réponds « Absolument Monsieur, vous êtes James Brown ». Il l’a dédicacé « Que Dieu te Bénisse Sonny. Affectueusement. James Brown ». On a un peu discuté, après il a fallu que je regagne mon siège. J’ai toujours ce passeport périmé ! Cependant, je pense que certes, les célébrités doivent être très prudentes à propos de leur sécurité, il y a tellement de psychopathes dans le monde, mais quand la situation s’y prête, elles doivent montrer un visage humain et aider les gens. Elles ne devraient pas être autant près de leurs sous. Beaucoup donnent les 10 % habituels à des œuvres de charité mais restent cramponnés à leurs fortunes immenses. J’ai lu des choses très positives sur Keanu Reeves récemment. Wayne Kramer des MC5 est aussi formidable.

Quels sont les combats qui te portent de nos jours ?

Je suis toujours triste quand j’entends les nouvelles du monde. Quand j’étais gamin j’imaginais toujours qu’il y aurait plus de progrès. Qui aurait su qu’ont connaîtrait encore autant de brutalité, d’inégalités et d’injustice ? Aujourd’hui je suis atteint par la mélancolie et la colère quand je vois tous les abus dans le monde. Par bien des aspects le monde est dur. On a Hollywood et l’industrie de la musique commerciale qui bourrent le crâne des jeunes avec les concepts de réussite, de domination et d’argent. C’est comme si la révolution hippie n’avait jamais existé. Un jour j’ai demandé à Richard Hell « Richard, tu vas toujours aux manifs, tu es toujours mobilisé ? ». Il m’a répondu : »Oui, toujours. Je suis pas vraiment sûr que ça change quelque chose, mais je dois le faire car je sais que les méchants le sont 24 heures sur 24 ».

Tu as beaucoup voyagé dans ta vie, quel endroit du monde préfères-tu ?

J’aime Saint-Thomas (îles Vierges des États-Unis), l’Inde, Paris, Lille, Toulouse, la Thaïlande, New York, Los Angeles, la Floride. J’aime aussi des endroits ennuyeux, l’isolement ça peut être bon pour la créativité. Parfois, nulle part c’est le meilleur endroit quand on est dans un processus créatif.

Interview : Frédéric Quennec / Traduction : Nicolas Quennec

Interview initialement publiée dans le fanzine Dig It ! (#76), actuellement disponible dans les points de vente habituels.

Facebook de Sonny : https://www.facebook.com/Sonny-Vincent-252005384818993/

Pour recevoir les 3 CD digipack $35 (USD) avec frais de port inclus, merci d’envoyer 35 dollars à l’adresse Paypal- sonnyvincentpersonalmail@gmail.com

Téléchargement digital: $20 pour tous les pays. Merci de mentionner “Digital” dans le message Paypal.

Vous pouvez aussi envoyer des cartes et euros pour l’album (cash) à l’adresse:

Robert Ventura Jr (Sonny and Cayden) / 149 Weaver Blvd / Apt 149 / Weaverville,NC / 28787 USA

Interview : Craig Bell (Rocket From The Tombs, Saucers, Future Plan, Mirrors, X_____X, The Down-Fi)

Formé à Cleveland à l’été 1974, Rocket From The Tombs n’a pas existé plus d’un an, n’a jamais sorti de disque, a joué une petite douzaine de concerts et n’a pas été entendu ou vu par plus d’une centaine de personnes. (extrait de la page consacré au groupe sur le site Ubuprojex). Pourtant ce groupe a marqué les esprits, longtemps après sa formation avec de grands noms comme David Thomas (Chant), Peter Laughner (Guitare), Gene O’Connor alias Cheetah Chrome (Guitare), ou Craig Bell (Basse). Chaque membre a fait son petit bout de chemin depuis la fin de RFFT, que ce soit dans Pere Ubu, les Dead Boys ou encore Saucers. Peter Laughner est lui décédé d’une pancréatite aiguë en 1977 à l’âge de 24 ans, mais a laissé une œuvre importante. Il est célébré aujourd’hui par un sublime coffret. J’ai eu l’honneur d’interviewer Craig Bell, le bassiste de RFFT, et nous avons évoqué entre autres sa musique et son amitié avec Peter Laughner.

 Thee Savage Beat : D’où t’es venu la passion pour la musique?

Craig Bell : Quand j’étais jeune, une de mes passions c’était la radio. Je tenais un journal des stations que je trouvais, avec leurs noms et leurs fréquences, ainsi que l’endroit d’où elles émettaient. Comme j’habitais dans l’Ohio, j’avais à ma disposition des centaines de stations, près de moi, mais aussi sur la côte est des USA et au Canada. J’écoutais certaines radios aussi loin que la Nouvelle Orleans, El Paso, et Denver. Ces radios avaient une programmation variée, c’est ainsi que j’étais exposé à toutes sortes de musique. J’ai fait ça à partir de la fin des années 50, et ça a continué durant le début des années 60, quand le rock and roll a envahi les ondes. Pour moi, et pour des millions de gamins de la région des Grands Lacs aux USA, la radio la plus influente c’était CKLW, une station canadienne de Windsor, dans l’Ontario, qui se situait juste au-delà de la rivière, de l’autre côté de la ville américaine de Detroit, Michigan. Elle diffusait un programme fantastique, mélange des derniers hits venus d’Angleterre avant leur sortie américaine, d’une bonne dose de Motown, et des tubes nationaux et régionaux du moment. C’était un terrain propice pour un jeune qui voulait faire partie de la scène musicale.

Je me souviens d’un tournant durant l’été 1964, quand, avec mon ami Dave, on a passé tout un samedi après-midi au cinéma à regarder plein de fois “Ferry Across The Mersey” (NA : avec en vedette Gerry et les Pacemakers) et ensuite, alors qu’on marchait sur le chemin du retour, on s’est dit qu’on ferait partie d’un groupe de rock and roll.

 Comment as-tu commencé la guitare ?

 J’ai appris, enfin, j’ai essayé d’apprendre, à jouer du trombone et de la clarinette en primaire, mais ça ne m’intéressait pas, et de toute façon j’étais pas très bon. Je voulais jouer de la guitare mais il a fallu que je quitte la maison après le lycée pour en posséder une, quand j’ai rejoint mon premier groupe. Quand j’ai rejoint Mirrors en 1971, je savais pas trop jouer de la guitare, juste quelques accords. Jamie m’a donné une guitare basse, m’a montré comment l’accorder, et me dit de me débrouiller pour le reste. Ce que je fis.

 Là tu intègres « Rocket From The Tombs »…

A l’automne 1974, Peter Laughner m’a demandé si j’étais intéressé pour rejoindre un groupe qu’il montait avec David Thomas (alias Crocus Behemoth, à l’époque) sur les ruines d’un groupe précèdent. J’étais toujours membre de Mirrors, mais le groupe était en mode pause à l’époque, et j’ai accepté l’offre de Peter. La réputation de Peter n’était plus à faire, il était reconnu comme un grand musicien. Ces dernières années il apparaissait régulièrement dans les concerts l’après-midi sur les radios FM locales. Il avait fait du lobbying auprès de la direction de la station radio locale pour qu’ils passent plus de groupes locaux. Ils répondirent qu’il suffisait qu’on ait un enregistrement, et ils le passeraient. Le 18 Février 1975, alors que notre guitariste Cheetah Chrome (Gene O’Connor) fêtait ses 20 ans, quatre jours avant mes 23 ans, nous nous préparions à enregistrer dans notre local de répétition, un loft dans le centre de Cleveland. Nous avions une table de mixage, quelques micros et un enregistreur à bobines emprunté à un ami. J’étais chargé de veiller au bon déroulement de l’enregistrement. Je bougeais les amplis aussi loin que l’espace nous le permettait. Tout était arrangé pour que les Vu-mètres (modulomètres) aillent rarement dans le rouge et c’était parti. On a enregistré un court set de chansons qui furent rapidement diffusées sur les ondes de WMMS un dimanche soir, comme ils l’avaient promis. Peter et moi étions à la station de radio ce soir-là avec l’enregistrement. Je me souviens qu’à la fin de l’émission, l’animateur avait déclaré aux auditeurs qu’eux aussi pouvaient le faire. Je crois que ce soir-là il a été le premier à exprimer la théorie DIY (Do It Yourself) du punk.

Vous étiez de grands amis avec Peter Laughner. Comment l’as-tu rencontré ?

Je connaissais Peter pour l’avoir vu à un de nos concerts de The Mirrors, il était un grand fan. C’était un musicien et écrivain talentueux. Je l’ai connu alors qu’il était au lycée dans une ville voisine. Il avait un groupe avec un de mes camarades. J’ai déménagé dans l’appartement de Peter et Charlotte sa compagne alors que j’étais dans RFTT et je suis resté ami avec eux après la séparation du groupe. Avant de quitter Cleveland pour New Haven dans le Connecticut, Peter et moi avons fait une dernière session d’enregistrement ensemble au magasin de disques Drome à Cleveland Heights.

Une de ces chansons, une version de «Life Stinks», est apparue sur le disque posthume de Peter intitulé « Take The Guitar Player For A Ride ». Peter était un ami, un mentor et une personne qui m’a profondément impressionné et qui m’a incité à continuer à faire de la musique pendant de nombreuses années après son décès. Il me manque, mais il est toujours là.

Il y a d’ailleurs ce superbe coffret qui lui rend hommage…

Nous avons récemment reçu notre copie du Box-set de Peter Laughner et je viens juste de terminer une première écoute. Je suis ravi du travail merveilleux de tous ceux qui ont participé à la création de cet hommage affectueux à Peter et à son art. Les enregistrements et le livre sont fantastiques et c’est une telle joie à expérimenter ! C’est tellement bon d’entendre la voix de Peter. Merci beaucoup à Frank Mauceri de Smog Veil Records et à son personnel pour une si belle création.

Selon toi, dans quel catégorie se place Rocket From The Tombs dans la musique américaine ? Lester Bangs l’a décrit comme « un groupe rock de légende underground »…

J’ai rencontré Lester Bangs et j’ai passé du temps avec lui pendant que j’étais dans Rock From The Tombs. J’étais fan de ses écrits depuis des années avant de le rencontrer dans les bureaux de Creem dans le Michigan. Lester et Peter étaient des amis et admirateurs réciproques pendant un moment à cette époque-là et nous avons ramené au Michigan l’enregistrement que nous avions fait en Février pour lui faire écouter. Il était très enthousiasmé par la bande et nous a aidés à la présenter à plusieurs personnes de grosses maisons de disques. Ils étaient moins convaincus. Cela nous a refroidis et nous avons commencé à nous interroger, personnellement et entre nous. Bien sûr, cela a conduit à la fin de RFTT en 1975. Je préfère de loin la description du groupe par Lester par rapport à des termes comme «Proto-Punk». Nous n’avons jamais essayé de donner un nom à ce que nous faisions, nous l’avons simplement fait.

L’enregistrement de 1975 : « The Day the Earth Met The Rocket From the Tombs » est un formidable témoignage de la férocité de RFFT en Live…

On a vécu de multiples expériences scéniques aux alentours de Cleveland. On a ainsi fait la première partie de nombreux groupes comme Iron Butterfly et Left End, et on a aussi été en tête d’affiche. Le point culminant de ces concerts, ça a été les deux soirs en juillet avec le groupe Television de New York. Le groupe a implosé rapidement peu de temps après cela, à la fin de l’année. Nous avions tous évolué dans des projets musicaux différents. Nous étions jeunes et n’avions pas eu beaucoup de conseils. Je suis heureux de pouvoir dire que nous sommes restés amis et collaborateurs au cours des années suivantes.

Les enregistrements de ces concerts, ainsi que d’autres de 1975, sont devenus la base d’un pirate (et en 1990, l’album Life Stinks). Ça a permis de faire vivre le nom Rocket From The Tombs, et on a pu se reformer en 2003 après la sortie de notre premier album officiel, « The Day The Earth Met Rocket From The Tombs » en 2002, 27 ans après notre dernière représentation. Nous avons reçu beaucoup d’éloges et d’excellentes critiques pour The Day The Earth Met Rocket From The Tombs. J’en suis reconnaissant et honoré.

En 1975, tu quittes Rocket From the Tombs…

Après la fin de la RFTT, je suis resté à Cleveland pendant un an me demandant quelle sera la suite. David m’a demandé de rejoindre son prochain projet, Pere Ubu, et j’ai aussi brièvement répété avec Stiv, Cheetah et Blitz dans leur nouveau groupe, Frankenstein, ainsi qu’avec un autre ami, Kevin McMahon, qui montait Lucky Pierre à ce moment-là. Je me suis dit alors que je devais faire mon propre truc et que j’avais besoin d’un travail parce que j’étais fauché. J’ai résolu ces deux problèmes en m’installant à New Haven, dans l’état du Connecticut, à l’automne 1976, pour occuper un emploi dans les chemins de fer. En quelques mois, j’avais commencé à rencontrer des personnes qui partageaient les mêmes idées et à préparer ce qui allait devenir Saucers en 1978.

Ensuite tu as joué dans de multiples formations, lesquelles t’ont le plus marqué ? Et pour toi quelle est ta plus belle chanson ? Pour moi un de tes meilleurs titres est « Tears in her yes » de Down-fi.

Au cours de mes années passées dans le Connecticut (entre 1976 et 1989), j’ai joué dans différentes formations : Les Saucers, The Plan, The Bell System et The Rhythm Methodists. Et depuis, à Indianapolis, j’ai joué avec The Down-fi, Deezen, et j’ai fait des concerts également sous le nom de Craig Bell en jouant dans des groupes légendaires tels que The Gizmos et Simply Saucer au Canada. Je suis entouré de tant de musiciens talentueux et d’amis qui ont fait de ce voyage une belle aventure. Me demander quelle chanson est ma préférée, c’est comme demander à quelqu’un quel est votre enfant préféré. C’est une question ardue ! J’aime jouer toutes les chansons que j’ai écrites ou interprétées avec toutes les personnes avec qui j’ai travaillé. Chaque chanson est associée à un tiroir dans ma mémoire et chaque fois que je joue ou que j’entends une de ces chansons, ou alors simplement que j’y pense, cela m’ouvre sur autant de souvenirs. Je suis content que tu aimes «Tear in her eyes»; Je l’ai écrite quand j’étais dans The Bell System et je l’ai enregistrée pour le premier CD de Down-fi. Je ne l’avais pas jouée depuis quelques années, mais je l’ai récemment ajoutée sur la set-list des concerts de The Rhythm Methodists.

Il faudra attendre 2003 pour la reformation de RFFT…

Début 2003, David Thomas, les membres survivants de Rocket From The Tombs, Cheetah Chrome et moi-même nous nous sommes réunis, ainsi que Richard Lloyd et Steve Mehlman, pour ce qui était supposé être un concert unique à Los Angeles, en Californie. La réunion faisait partie d’un week-end beaucoup plus vaste de performances mis en place par David dans l’une de ses productions Disastrodrome.

Après le concert, tous les membres du groupe ont convenu que nous devrions enchaîner sur une courte tournée. Nous avons donné quelques concerts dans le Midwest et dans l’Est, avec deux nuits à New York. Tous les concerts étaient complets et nous avons réalisé que notre groupe était cool. Nous avons donc décidé de poursuivre notre tournée plus tard la même année. À ce moment-là, nous avons également décidé d’aller à New York pour enregistrer dans l’espace Richard à Manhattan. C’est là que nous avons créé l’album Rocket Redux, qu’on a joué lors de la tournée de 28 dates aux USA et au Canada, à la fin de 2003.

RFTT a continué à donner des concerts au cours des années suivantes, principalement aux États-Unis. Il y a eu un voyage à Kassel, en Allemagne, pour un festival en 2006 et d’autres dates européennes et britanniques en 2012 et 2014.

D’ailleurs vous passez en 2012 par la France, un bon souvenir ?

J’espère avoir l’occasion de revenir en France avec ou sans RFTT, le plus vite possible. La tournée de 2012 a été une aventure étrange et passionnante dès le début. J’avais vu David aux États-Unis environ un mois avant le début de la tournée lorsque nous nous sommes réunis à Cleveland pour répéter. Je ne savais pas qu’il était malade à ce moment-là et quand je suis arrivé à Newark pour retrouver le reste du groupe et me rendre à Berlin, Steve m’a dit que David avait été hospitalisé et que personne ne savait ce qui allait arriver. . Nous avons tous décidé de prendre l’avion et d’attendre de voir ce qui se passerait les jours suivants. Finalement on est resté dix jours dans une auberge de jeunesse dans le secteur de Berlin-Est où je partageais un dortoir avec Steve, Gary, et Buddy. On traversait le pont de chemin de fer jusqu’au local de répétition où nous nous rendions tous les deux jours. On attendait des nouvelles sur l’état de santé de David. Nous avions très peu d’argent, mais le promoteur de la tournée nous fournissait un logement et un local de répétition. Nous avons fait un saut de Berlin à Bruxelles pour se procurer les t-shirts et autres marchandises qui devaient être achetés en vue du premier concert. Ce concert, ainsi que d’autres au début de la tournée, a dû être annulé. Le point culminant de ce voyage a été notre tentative timide de chopper de l’herbe à Einhoven. Au moins, le gamin nous a laissé un carton. Puis, on nous a dit que David était assez bien pour continuer la tournée. Nous l’avons récupéré et nous sommes allés à notre premier concert à Paris. J’ai pas vu grand-chose de Paris, ça s’est limité à la vue de la fenêtre du van. Le festival à Lyon était fantastique! Je me suis promené de cour en cour pour voir les différentes choses qui se passaient, puis je suis sorti et j’ai très bien mangé dans le quartier. Après le concert, le promoteur a emmené tous les groupes dans un restaurant et nous avons passé la nuit à déguster des plats fantastiques, à boire des coups et à faire la fête. Quelques bagarres ont éclaté entre certains fans de hip-hop et d’électro, mais à part ça, nous avons dignement célébré le lever du soleil. 

 Peux-tu nous parler des groupes de la scène de Cleveland qui regorge de talents…

Quand j’ai quitté Cleveland en 1976, il n’y avait pas vraiment de scène musicale. Jusque-là, ma perception de la scène underground de Cleveland se composait de Mirrors, Styrenes, Electric Eels, de tout ce que Peter avait eu comme groupe, et de groupes d’Akron comme Tin Huey et Numbers Band. Peu de temps après, beaucoup de grands groupes de Cleveland sont apparus et je ne les connaissais que de loin. Je connaissais The Pagans et Lucky Pierre et collectionnais leurs singles. Jim Jones, qui me tenait au courant des sorties, m’avait envoyé un album de son groupe, The Easter Monkeys, qui reste mon favori. J’avais entendu parler de Death of Samantha mais n’avais entendu les chansons que plus tard, alors que j’étais dans le groupe actuel de Jon Petkovich (guitariste de Death of Samantha), Cobra Verde.

Plusieurs groupes vous rendent régulièrement hommage, quels sont les plus marquants ?

Nous avons débuté notre deuxième tournée américaine à San Diego et le chanteur principal de Rocket From The Crypt était au concert. Il espérait que nous ne serions pas fâchés contre eux. Il pensait que jamais on ne se rencontrerait ! J’ai toujours aimé entendre les autres reprendre l’une de mes chansons. Nous étions chez un ami un jour dans les années 1980 quand la reprise de « Final Solution » par Peter Murphy déboula sur MTV. Ce fût un choc ! Sinon, ce n’est pas une reprise, mais c’était vraiment plaisant d’avoir la version RFTT de «Final Solution» dans le film “My Friend Dahmer”. Jamais je n’aurais imaginé être au générique d’un film!

Quels sont tes nouveaux projets avec ton nouveau groupe Simply Saucer ? Vous partez en tournée je crois.

Je vais rejoindre mes amis de Simply Saucer en septembre pour deux semaines de concerts aux États-Unis. C’est un légendaire groupe de musique underground canadien (proto-punk) dirigé par Edgar Breau. Edgar et moi on se connaît depuis les années 1970, lorsque nous étions membres du fan club de Syd Barrett. On s’est perdus de vue pendant des années, jusqu’en 2011, lorsque RFTT a joué à Hamilton, en Ontario. Il y a eu comme un regain d’intérêt pour Simply Saucer, un peu comme RFTT. Le groupe a commencé à faire plus de concerts aux États-Unis. Edgar m’a demandé de travailler avec eux sur ces concerts et ce sera notre troisième tournée ensemble. Au cours des deux dernières années, j’ai tourné en tant que Craig Bell. Là, je suis en tournée et j’enregistre actuellement un nouvel album. Depuis 2014, je suis également membre de X_____X (x-blank-x), un autre groupe de Cleveland formé en 1979 par John Morton de Electric Eels et Andrew Klimek, frère cadet de Jamie Klimek, qui m’a engagé pour mon premier groupe, Mirrors en 1971. En 2014, un label finlandais a publié un album d’enregistrements de X_____X et John et Andrew m’ont demandé de les rejoindre pour promouvoir le disque lors de quelques concerts. Une fois encore, quelques concerts se sont transformés en plusieurs tournées. Ainsi en témoigne notre album de 2015, “X THE JAZZ DESTROYERS X present Albert Ayler’s Ghosts live at The Yellow Ghettoon” (sur Smog Veil Records), ainsi que notre prochain album, “X The Monster That Ate Cleveland X,” qui sortira en 2020. (Si des promoteurs européens lisent cela, NOUS VOULONS AMENER X_____X EN EUROPE !!!)…

Que conseillerais-tu à un musicien qui débute de nos jours et qui jouerait ton style de musique ?

Peu importe le genre de musique, d’art ou tout ce que vous voulez faire. Tant que le feu brûle à l’intérieur, n’abandonnez jamais.

Interview : Frédéric Quennec / Traduction : Nicolas Quennec

http://craigbell.bandcamp.com/

http://craigwbell.com/

https://www.facebook.com/Saucers24/

https://www.facebook.com/rocketfromthetombs/

https://www.facebook.com/X________x-224975697676528/

Interview : Peter Zaremba (chanteur des Fleshtones)

(version longue de l’interview parue dans Rock & Folk en septembre 2018)

Peter Zaremba, célèbre frontman des mythiques Fleshtones, est aussi le Comte Psychédélique. Il sort aujourd’hui sous ce pseudo son premier 45 tour vinyle en français. Deux titres complètement inédits chantés en français dans la plus pure des traditions yéyé des années 60, dont une version renversante de « Don’t You Know It » d’Arthur Alexander. Un américain chantant en français et reprenant un classique du rhythm and blues de son pays sur la face B, il fallait oser ! Les titres ont été écrits, produits et arrangés aux Studios Cold Cuts de New York par Florent Barbier (ex-Roadrunners). Florent Barbier a aussi collaboré par le passé avec, entre autres, des artistes aussi prestigieux qu’Elliot Murphy, Deniz Tek ou encore les Fleshtones. Le single est dédié à la mémoire de Mimi, batteur des Dogs, récemment disparu ainsi qu’à Jean-Luc Le Dû, célèbre sommelier français de New York et très grand ami de Peter, lui aussi décédé très brutalement en fin d’année 2017 – il était une figure emblématique de New York, et Peter avait fait beaucoup de fêtes avec lui. Ce disque est comme un bon cru français, forcément rare (tiré à 500 exemplaires). On le doit bien sûr à Peter mais aussi à Francis Puydebois du label Foo Manchu. Espérons ne pas attendre le prochain Record Store Day pour que le Comte Psychédélique ne reprenne du service ! A la lecture de l’interview, on peut être rassuré…

Thee Savage Beat : A tes débuts avec les Fleshtones ou étant enfant avais-tu entendu parler du succès du yéyé en France?

Peter Zaremba : Quand j’étais petit, on entendait un peu de yéyé français – surtout dans les films, jamais à la radio. En fait non, je me trompe, j’entendais du rock français à la radio au Québec dans les années soixante. J’aimais bien ça, mais l’idée répandue à l’époque, c’était que les Français ne savaient pas jouer du rock and roll, ou, comme le disait Johnny « Le rock français… c’est un peu comme le vin anglais » (j’ignorais qu’il avait autant le sens de l’humour). Cependant, avant les Beatles, on disait aussi que les anglais non plus ne savaient pas jouer du rock and roll. Ah, les croyances populaires !

« Je n’arrêtais pas de demander, « c’est qui, ça ? », « c’est quoi, ça ? ». J’étais conquis !« 

La première fois où je me suis vraiment mis à écouter du yéyé, c’était lors de cette nuit mémorable au Palace à Paris, à nos débuts. Cette nuit-là, on est sortis dans Paris, et on a entendu tous ces trucs super, pas seulement du yéyé – Hardy, Ferrer, Polnareff – ou encore Nino Ferrer, incontournable, Ronnie Bird, également, et puis les Chaussettes Noires, et Dutronc, bien entendu. Je n’arrêtais pas de demander, « c’est qui, ça ? », « c’est quoi, ça ? ». J’étais conquis !

Vous aviez déjà sorti un MiniAlbum (10 pouces) en Français « Allo Brooklyn Ici Montmartre » sur le label Poussinet, avec Tony Truant, il y a t-il eu d’autres essais auparavant en Français avec les Fleshtones?

Une seule fois (Oh, tu connais notre disque avec Tony !). On a repris la tentative de Michel Polnareff de percer dans la pop en anglais avec son titre « Time Will Tell ». Un super titre. Il avait demandé à Keith Reid, le parolier de Procol Harum, de lui écrire des paroles en anglais. Je ne pense pas que Keith lui ait donné exactement ce qu’il voulait, mais on a inversé le procédé, et on a traduit les paroles en français – « Les Temps Dira » ! C’était la face B de notre 45T ‘Jet Set Fleshtones ». Notre Keith Streng a fait remarquer que ce titre aurait dû être inclus dans notre dernier album « Budget Buster ». J’avais oublié qu’il n’avait figuré sur aucun album ! Alors, essayez de dénicher « Les Temps Dira » (sorti sur Yep Roc Records en 2007 et produit par Jim Diamond de Ghetto Recorders de Detroit, MI). En parlant de notre disque avec Tony, j’adorerais réenregistrer « D’accord Tony D’accord » avec Florent – Le Comte Psychédélique n’a pas dit son dernier mot !!!

D’où t’es venue l’idée de sortir un 45 t en Français sur ton propre nom à l’occasion du record store day?

Les Fleshtones n’étaient pas trop occupés l’an dernier. J’avais beaucoup de temps à tuer, si je puis dire. On a enregistré au studio de Florent Barbier, le batteur du grand groupe de rock and roll français The Roadrunners. On a beaucoup tourné avec eux. En tout cas, vu que les Fleshtones enregistrent souvent en espagnol, Florent et moi, on s’est dit qu’on pourrait essayer d’enregistrer un truc en français. C’est pas du tout évident pour des anglophones, mais Florent est quasiment bilingue (!!!) et il m’a promis d’être mon coach. Donc on avait du temps libre, les Fleshtones étaient « dispersés aux quatre vents », et on a décidé d’enregistrer. En plus de la batterie, Florent est un excellent multi-instrumentiste. Il a joué de tous les instruments – guitares, basse, batterie, il a chanté, réalisé et enregistré. J’ai fait le clavier, l’harmonica, et le lead vocal. Il n’y a pas d’autre Fleshtones sur cet enregistrement, excepté notre bassiste originel Jan Marek Pakulski, qui a été excellent aux choeurs ! On a enregistré trois chansons, c’était parfait pour un 45T. Yeproc, le label des Fleshtones, n’était pas chaud pour sortir un 45T solo de Zaremba, encore moins en français, donc j’ai cherché ailleurs. Keith Streng m’a conseillé d’en parler à Francis Puydebois, qui avait sorti un album de son ami Deniz Tek. Francis est venu voir les Fleshtones la dernière fois qu’on a joué à Bordeaux, on s’est parlé, et c’était fait !

Où avez-vous enregistré le 45 Tours et dans quel ambiance?

On a enregistré les morceaux dans le home studio « Cold Cuts Productions » de Florent à Williamsburg à Brooklyn, très près de chez moi. C’était à trente minutes de chez moi à pied, quinze en vélo. .On a principalement travaillé tous les deux avec Florent donc l’atmosphère était très détendue. Bien sûr j’étais très conscient de mes limites en français, donc c’était bien d’avoir Flo pour me coacher. On se connaît depuis longtemps et il a été très patient, à un point que l’on ne peut imaginer !

« On pensait que ça fonctionnerait très bien en français, un peu comme une chanson des sixties. N’ais-je pas raison ?« 

Comment as-tu écrit ta chanson Le tueur du dernier étage et de quoi ça parle? La seconde face est une reprise de Arthur Alexander (elle est très réussie) « Ne vois-tu pas? », pourquoi n’avoir pas fait de reprise d’un titre Français que tu aimes?

J’avais imaginé quelqu’un qui tue le temps parce que son amour l’a quitté, mais cette personne est quelque peu désillusionnée et paranoïaque à cause de cette situation. Donc il est décrit comme un « tueur en série » qui peut se cacher dans n’importe quel appartement, mais qui est en réalité inoffensif. Florent m’a dit que la même expression était utilisée dans les deux langues (« killing time »), donc on est parti là-dessus. On pensait que ça fonctionnerait très bien en français, un peu comme une chanson des sixties. N’ai-je pas raison? Florent et moi avons travaillé ensemble sur les paroles.

Avec Florent Barbier (à gauche)

On pensait que la chanson d’Arthur Alexander fonctionnerait également bien en français. J’adore ses chansons bien sûr. Encore une fois, Florent et moi avons travaillé sur la traduction pour trouver le bon rythme. On voulait créer quelque chose de nouveau, plutôt que de reprendre un classique français que j’apprécie. Si on avait choisi cette facilité, tout ce qu’on aurait fait aurait souffert de la comparaison avec l’original, et j’aurais eu une foule de fans de yéyé furieux à mes trousses qui m’aurait pourchassé dans les rues de Paris, comme le jour de la prise de la Bastille.

Ceci étant dit il y a un ou deux classiques français que j’aimerais reprendre, mais encore une fois il faudrait que je fasse en sorte que ce ne soit pas une pâle copie de l’original, ça ne sert à rien de faire un énième disque pour rien. Cependant il y a une chanson de Françoise Hardy que j’aimerais reprendre (je ne dirais pas laquelle). Et il y a fort à parier que le Comte Psychédélique sera de retour bientôt avec un nouveau 45 Tours.

« on essayait d’empêcher Johnny Thunders de monter sur scène, – on le connaissait bien de New York, et on savait qu’il avait la ferme intention de saccager le concert« 

Lors des concerts au Gibus à Paris (d’où est tiré vos disques live « Speed connection I and 2″), pourrais me citer une ou plusieurs anectodes au sujet de ces dates?

Une ou deux anecdotes? On pourrait écrire un livre entier au sujet de la fabrication de cet album, voire même deux volumes. L’idée de l’album vient de notre bon ami corse Henri Padovani, qui m’a toujours fait penser à la star de film de gangster George Raft. Henri avait l’habitude de sortir une vielle pièce de dix francs et la faisait sauter à la manière de George Raft. Henri était le premier guitariste de The Police, mais il n’avait pas voulu se faire teindre en blond. Un corse blond ? Ridicule. En tout cas, il était notre principal contact à IRS Records en France. Nous devions enregistrer le disque en une nuit au célèbre Petit Gibus, les pochettes (dessinées par Serge Clerc) étaient déjà imprimées, Henri devait sauter dans un avion pour la Hollande où une usine de pressage avait été réservée, et le disque devait être pressé ce jour même ! Voilà !

D’un côté on essayait d’empêcher Johnny Thunders de monter sur scène, – on le connaissait bien de New York, et on savait qu’il avait la ferme intention de saccager le concert avec ses singeries de défoncé, ce dont nous n’avions pas besoin -, de l’autre Peter Buck de REM arrivait d’Angleterre en avion, pour nous rejoindre sur scène sur « Wind out » que Michael Stipe avait écrit pour nous, ou du moins nous l’avait laissé car c’était trop simple à jouer pour REM ( il a changé d’avis là-dessus aussi). En tout cas, l’excitation est à son comble, on annonce Peter Buck, il saute sur scène, notre tourneur tout sourire lui tend une guitare complètement désaccordée. La chanson est massacrée mais notre négligeant et incompétent tourneur sera récompensé par une belle carrière avec nos amis The HooDoo Gurus. Quelle est la morale de cette histoire? A propos de prise d’otages, Les Fleshtones n’ont cessé de discuter du film français Les Spécialistes » qui passait alors au cinéma le Rex et dont on faisait beaucoup de publicité autour. Pour la promo il y avait des effigies en carton grandeur nature des stars Gérard Lanvin et Bernard Giraudeau attachés ensemble avec des menottes très réalistes, comme ils apparaissaient sur toutes les affiches en France. Sur le chemin du Gibus, notre batteur Bill Milhier et feu Gordon Spaeth, notre saxo, demandent au taxi de passer devant le Rex, dans un timing parfait ils sautent dehors, jettent les figurines de Lanvin et Giraudeau dans le taxi et se précipitent sur la scène du Gibus, pile quand on commence le concert ! Nous jouons tous notre emblématique ‘Powerstance’ en compagnie de ces stars du film d’action à la française, quand le public enragé monte à l’assaut de la scène et déchire les effigies de Lanvin et Giraudeau avant même qu’on entame le refrain de notre chanson d’ouverture. Je garde le reste pour le livre…

Quels sont tes chanteurs et groupes Français favoris présents ou passés ?

Je pense en avoir déjà parlé, mais il y a beaucoup de disques français que j’adore, et, comme je l’ai dit, si je déclare que j’aime un groupe comme The Norvins, alors ça va faire chier une dizaine d’autres groupes que j’aime. Bien sûr, on avait un lien particulier avec les Dogs. J’ai produit un album avec Los Mescaleros – super groupe, super album Et ces frères Casas sont géniaux (des mauvais génies ? sûrement pas !). Je devrais y ajouter sans hésiter The Playboys, ils sont une inspiration depuis leurs débuts, et François est la seule personne à m’avoir vraiment impressionné sur scène – au festival d’Angoulême, je crois (The Cosmic Trip). Les Gris-Gris sont super également, il y a quelques merveilleux titres des Rita Mitsouko, Charles Trenet, bien sûr, et Dutronc, toujours. Vaste question, il faudrait être plus précis !

Quels sont tes meilleurs souvenirs de concert avec les Fleshtones ici en France plus ou moins récents ?

Quand on revient à Paris, on est accueillis si chaleureusement, que ça me touche vraiment beaucoup. Sincèrement, j’adore l’esprit de camaraderie et la gentillesse que l’on rencontre dans quasiment tous les endroits où nous jouons à travers la France. J’en suis venu à vraiment apprécier le rythme inhérent à la tournée – Arriver, rencontrer l’équipe, parfois visiter la ville si on a le temps, partager le repas backstage avec l’équipe, le concert et la rencontre avec le public… Que des bons moments.

Qu’aimes-tu le plus chez nous les Français, et ce que tu détestes le plus ?

Question délicate, car la plupart des choses que je pourrais détester chez les français, ce sont aussi les choses que j’aime ! Ce qui est merveilleux et séduisant, c’est votre philosophie de la vie, les relations entre les gens. Cela comprend la nourriture et la boisson, mais aussi la loyauté envers les gens et les idéaux, et puis l’art – heureusement ça inclut le rock’n’roll ! Votre langue me cause pas mal de problèmes, ainsi qu’à tous les anglophones. On a tendance à penser que les Français sont des pervers avec leur langue, mais j’ai appris que vous ne cherchez pas spécialement à être exigeants, c’est juste que votre langue doit être parlée correctement, sinon c’est du charabia. Vu qu’on tourne en France depuis 1982, Jean-Luc, notre agent français, ça le fait rigoler, il donne encore un siècle aux Fleshtones pour parler le français.

Je t’ai vu notamment à Nantes au Stakhanov il y a quelques années, c’était un peu la folie, te souviens-tu de ce concert ?

En fait c’est Jean-Marc du Stakhanov qui nous a fait visiter Nantes, on a passé du bon temps. Le concert, c’était une nuit dingue, géniale. Une petite salle, mais pas minuscule, un super public, parfait pour les Fleshtones. Et puis, bien qu’on soit allé à Nantes plein de fois, ce weekend-là nous voyions la ville comme pour la première fois, il y avait tellement de vie et d’énergie. On a passé un super moment. Il y a même eu le lendemain un grand classique, une émeute étudiante, on pouvait y assister confortablement installés dans un café. Typiquement français !

Avez-vous des exigences gastronomiques particulières lors de vos tournées en France ?

On essaie de « manger local » (rires), cela inclut un couscous au moins une fois dans la tournée ! On essaie de boire local également. C’est sympa d’être invité dans les vignobles et les châteaux par les gens que nous rencontrons. Après deux expériences de mort imminente, j’avais évité les huitres, mais j’essaie d’y revenir petit à petit. On évite la nouvelle cuisine ainsi que les sandwichs triangle. Je préfère ne pas manger plutôt que de manger ça. Ce sont des symptômes d’une détérioration de la cuisine française. Il y a tout de même des restaurants traditionnels où on aime retourner encore et encore.

Quand revenez-vous en France ou à Nantes ? J’espère que nous aurons l’occasion d’entendre « Le tueur du dernier étage » ? ou « Ne vois-tu pas?

On reviendra en Novembre ! Je ne suis pas sûr de chanter l’une ou l’autre, elles n’ont pas été enregistrées par les Fleshtones, et ils ne savent pas les jouer. A côté de cela, comme j’aime le dire, c’est plus facile pour moi de chanter en espagnol qu’en français. Vous les Français, vous avez un rapport spécial à votre langue, vous êtes très exigeants – je sais, c’est dans votre nature. Peut-être que je les chanterai en espagnol.

As-tu déjà rencontré des grands noms issus de la scène yéyé Française?

Non, jamais, aussi étrange que cela puisse paraître après toutes ces années. Mais j’ai le même sentiment pour eux que celui qui m’anime depuis de nombreuses années envers les artistes américains ou anglais dont j’adore les disques – Je n’ai pas besoin de les rencontrer. Je préfère garder le souvenir de leurs disques.

Avec quel artiste ou groupe Français aimerais-tu partager la scène?

Bon, pour Johnny c’est un peu trop tard. Dutronc, bien sûr, mais peut-être pas très aisé. Hardy, peut-être… Il y a beaucoup de nouveaux groupes que j’adore, mais je n’ai pas envie d’en citer un et laisser les autres de côté !

Interview : Frédéric QUENNEC / Traduction : Nicolas QUENNEC

Crédit photo : William Milhizer.

Interview (english) : Chris Masuak (Radio Birdman / New Christs / Hitmen)

At the age of 17, he experienced a culture shock when he landed in Australia from a wild country in Canada. At the time, Chris Masuak had already experienced a lot of family tensions. He was going to find a new family with Radio Birdman, whom he compared to a gang in the interview. « When I first settled in Australia, it was a strange new land with incomprehensible people, » he recalls in the fascinating documentary « Descent into the Maelstrom » which is devoted to the group Radio Birdman. He found himself seeing the group every weekend, playing the guitar with them, listening to their record collections. His former companions say of him, « He could play anything. It could be Johnny Winter or Mick Taylor… He picked up the guitar and was able to replay note for note after a concert what Deniz had played, and it was only natural that he joined the group. ” Warwick Gilgert (second bassist) is full of praise for it: « It really became something, it was a real wonder. You knew there was no better group.  » The group did not survive a tour of England where tensions began to emerge. For Chris Masuak it was a musical and family commitment, there was honor and loyalty and a lot of pride in their music. Radio Birdman with the Saints revolutionized Australian underground rock music. Chris would make history with The New Christs and The Hitmen. He now lives his life as a rocker in Spain. Chris Masuak was kind enough to look back on his past and answer a few questions before a tour in France with his new group The Outside in February 2020.

How did you get this passion for music? how did you come to play the guitar?

When I was a kid we lived out on the frontier of Northern Alberta where there was no television and radio only when atmospheric conditions were right. So, we entertained ourselves by reading and listening to music and I started piano lessons when I was about five years old. So, music was just something we did.

When I was around twelve or thirteen my dad gave me an old homemade guitar that had been kicking around his sister’s basement. It had the name “Kay” appliqued to the headstock so I always referred to it as such. Later, some “experts” mistakenly insisted that it was an actual Kay … a mail order catalogue type guitar. Idiots.

In any case, the rest is history!

What were your first bands, first concerts in which you participated, do you have anectodes?

My first band was MANTA, up on the Big Bend of the Columbia River in British Columbia. I was thirteen and the youngest. We would have to get permission to play at bars and dances because of my age. We used to rehearse in the basement and I’d hook up all of our amps and PA to make a monster guitar rig. My parents were very tolerant.

Was your meeting with Deniz Tek (Radio Birdman) decisive in your career?

I suppose so. I inadvertently found myself in the country’s coolest band and basically never stopped.

Do you have interesting or funny anectodes during tours with Radio Birdman, New Christ, Hitmen, or more recently? Can you tell us one or two?

In the early days Radio Birdman was a family or at the very least, a gang. We were ferociously committed and dedicated to our music but just getting a chance to play was an ongoing comedy of sorts. But ultimately, there is nothing fun about Radio Birdman. In that culture you’re either a bully or a sycophant and I don’t miss it.

The Hitmen tried to break out of the Birdman mold and take that legacy out of the Sydney underground scene and into the mainstream. We worked hard breaking down those very real barriers and had a lot of fun along the way. We never achieved mainstream success because we were dedicated to being at the vanguard and record companies just didn’t know what to do with us.

Sadly, that legacy has disappeared up it’s own self-importance as well.

The New Christs were basically The Hitmen backing Younger. That lineup recorded the band’s most quoted and enduring songs. It was probably the best band I’ve been in, especially with Richard Jakimiszyn on second guitar.

Like every lineup over the next 30 years it was hard-wired for failure.

Was the work to remix « Radio Appears » and « Living eyes » an opportunity to put the group Radio Birdman back in the saddle in 1994?

We attempted to salvage Living Eyes but the original recording was poorly tracked. The remix wasn’t an improvement. I thought that there was some hope for reconciliation leading up to the reformation. I didn’t suspect that reconciliation wasn’t the motive.

On the tours with the New Christs and the Hitmen especially during the first parts or concerts you made interesting meetings (Iggy Pop in 1984, the punk rock diva Niagara in December 2007). Are these good memories? Have there been other significant encounters in your career?

As I said, The New Christs were a formidable band at that time. Iggy had a substandard lineup on his first tour of Australia and was horrified that The New Christs easily outclassed his group of New York paranoiacs. Still, Iggy loved us! He came onstage with us one gig and we ran him through a bunch of songs until his band literally pulled the plug on us. I wonder if he remembers.

You entered with Radio Birdman at the Aria hall of Fame in 2007. What do you think of this institution as well as the Rock’n’roll hall of fame? Which groups should be included?

It was ironic that the “industry” that so maligned the band back in the day eventually came to recognise our contribution. Some members were churlish about it, but I figure that the recognition was hard won and that it should be accepted in good faith.

Which groups should be in the Hall of Fame? Certainly for Australia … The Loved Ones, The Black Diamonds, The Missing Links, The Purple Hearts … too many that won’t be considered.

You separate in 2010, and at the same time you are not invited to the reformation of 2014 … Do you think that ego problems can be a problem in a band?

The problems in that band run deeper and are more complicated than in most. When it was apparent that I would no longer tolerate the appalling behaviour of some of the members I was axed. There was no professional or musical reason. It was a vindictive and deliberate attempt to hurt me. In fact, by firing me the band lost “the glue” that allowed them to go off on their various tangents and still remain musically cohesive. I don’t even recognise them as that band any more. Sometimes, I wonder why they don’t just throw the towel in. It’s sad and embarrassing.

Can you tell me about the evolution of your career these past years ?

At the beginning, my career was a result of attrition. I had nothing else or better to do with my time or energy and managed to fall into projects that turned out to be somehow ground breaking. Every band I’ve been in has been at the vanguard, breaking through the very real cultural or musical barriers of the time for those that followed. Without the fame and commercial success, of course!

As time went on, I discovered that I loved writing and recording. Bands like The New Christs and Radio Birdman afforded very little satisfaction in those areas so I moved on or was moved on. Even The Hitmen, which I formed as a vehicle for my writing, had limitations.

I had a period where I got tired of musician’s shallowness and put myself through various studies and eventually practiced as a Naturopath for many years. But, I never put the guitar down.

Things started really changing when I started forming trios and was required to be the singer. Bands like The Juke Savages and Klondike’s North 40 were interesting new challenges with very capable players, and I really didn’t want to introduce another dynamic into the mix in the form of a fucking lead singer with the inevitable bullshit that accompanies them.

So, I forced myself to sing. Which, with my songs is like rubbing your head and patting your belly, then switching hands. Plus, I discovered that everything that I wrote was just exactly out of my singing range. So, I had to learn! Fast!

Plus, the freedom of writing for small groups meant I could push the boundaries and do things that would be beyond the capabilities of my previous bands. This is enormously satisfying and as well as being prolific, I like to think that my writing and playing is getting better. In any case, I’m really enjoying playing guitar and touring with The Viveiro Wave Riders and The Outside. It’s liberating to be finally associated with decent human beings!

You are preparing a new tour in France with Bruno Mondo on bass, What do you prefer in touring?

I prefer touring and playing with good people and having fun.
This is always the case with The Outside, and especially more so now with El Kara on drums to give us the solid foundation to make the band great.

From a musical point of view do you rather feel close to AC / DC or Nick Cave and the Bad Seeds or even Rose Tattoo or others?

I have no affinity with any of those bands.

I do appreciate AC/DC and Rose Tattoo, but they really don’t swing. And, I loathe Nick Cave with an indescribable loathing. I really hate that junky chic shit!

What do you think of the current Australian scene Tame Impala, King Gizzard .. or others ?

There are some very dynamic, if somewhat derivative young bands coming up now. Tons of energy! It’s heartening!

There is this tragedy, these giant fires right now in Australia, how do you feel about climate change, do you think that politicians are doing enough on this issue?

I know that it’s fashionable to say that art and politics should be mutually exclusive. But in my opinion, to NOT get involved in the political debate is to relinquish your rights and privileges as a human being! And, artists are in a good position to help spread the dead-obvious message that our politicians actually do not have their constituents safety and well being at heart.

You have lived in many countries including Canada, Australia, and now Spain since 2010. Where do you feel best?

I’m a perennial foreigner. I’m a stranger everywhere! I’m very fucking lucky to be able to continue travelling and living the way that I do.

What are your 5 favorite albums from the past decade?

Don’t know if I can pick favorite albums. In Australia, I like what Mick Medew is doing now. Also, Amyl and The Sniffers are pretty fun. Overseas, David Gasten is doing a really good job curating his This Is Vintage Now lounge music stable. And, over here in Spain, The Atomic Zeros, Bang 74, and Johnny Casino are making great music.


What can we wish you better for 2020?

I just pray that our “leaders” don’t extinguish life on our planet this year! It looks grim! But, I see leadership and strength in many of our younger people, so maybe there is hope for their future.

For myself, I just hope for continued good health and happiness and the opportunity to keep writing and playing. I have so much more to do!

Interview : Frédéric Quennec

Interview: Chris Masuak (Radio Birdman / New Christs / Hitmen)

English version available. Click here.

A l’âge de 17 ans, il vit un choc culturel en débarquant en Australie en provenance d’une contrée sauvage du Canada. A l’époque, Chris Masuak avait déjà connu pas mal de tensions familiales. Il allait retrouver une nouvelle famille avec Radio Birdman, qu’il compare plutôt à un gang dans l’interview. « Quand je me suis installé pour de bon en Australie, c’était une nouvelle terre étrange avec des gens incompréhensibles », évoque-il dans le passionnant documentaire « Descent into the Maelstrom » qui est consacré au groupe Radio Birdman. Il se retrouva à voir le groupe tous les week-ends, jouer de la guitare avec eux, écouter leurs collections de disques. Ses anciens compagnons disent de lui : « il pouvait jouer n’importe quoi. Ça pouvait être du Johnny Winter ou du Mick Taylor… Il prenait la guitare et était capable de rejouer note pour note après un concert ce que Deniz avait joué, et c’est naturellement qu’il intégra le groupe ». Warwick Gilgert (second bassiste) ne tarit pas d’éloge à son sujet : « C’est devenu vraiment quelque chose, c’était une vraie merveille. Tu savais qu’il n’y avait pas meilleur groupe ». Le groupe n’a pas survécu à une tournée en Angleterre où des tensions on commencé à émerger. Pour Chris Masuak c’était un engagement musical et familial, il y avait de l’honneur et de la loyauté et beaucoup de fierté dans leur musique. Les Radio Birdman avec les Saints ont révolutionné la musique rock underground australienne. Chris allait marquer encore l’histoire avec The New Christs et The Hitmen. Il vit désormais sa vie de rockeur en Espagne. Chris Masuak a eu la gentillesse de revenir sur son passé et de répondre à quelques questions avant une tournée en France avec son nouveau groupe The Outside en Février 2020.

Thee Savage Beat : Comment t’es venue cette passion pour la musique ? comment en es-tu venu à jouer de la guitare ?

Chris Masuak : Quand j’étais gamin on vivait à la frontière de l’Alberta du Nord (Canada). Là-bas il n’y avait pas la télévision, seulement la radio, et encore, quand les conditions météo étaient clémentes. Donc, on se divertissait en lisant et en écoutant de la musique. J’ai commencé à suivre des leçons de piano vers l’âge de cinq ans. La musique faisait partie de notre vie.

Vers l’âge de douze-treize ans, mon père m’a offert une vieille guitare faite maison qui traînait dans la cave de sa sœur. Sur la tête, il y avait écrit le nom “Kay”, et c’est comme ça que je l’appelais. Plus tard, des soi-disant “experts” prétendirent en se trompant que c’était une véritable guitare Kay, une guitare qu’on achetait sur un catalogue de vente par correspondance. Quelle bande d’abrutis.

Enfin, ce qui est sûr, c’est que tout le reste fait partie de l’Histoire !

Quels furent tes premiers groupes, tes premiers concerts auquel tu as participé, as-tu des anecdotes ?

Mon premier groupe s’appelait Manta. On habitait sur le “Grand Coude” de la rivière Columbia en Colombie Britannique. J’étais le plus jeune, j’avais treize ans. A cause de ça, on devait avoir des permissions pour jouer dans des bars ou dans des soirées dansantes.

On répétait dans la cave et je mettais tous les amplis à fond pour que ma guitare ait un son d’enfer. Mes parents étaient très tolérants.

Ta rencontre avec Deniz Tek (Radio Birdman) a-t-elle été déterminante dans ta carrière ?

Je le pense. Je me suis retrouvé par inadvertance dans le groupe le plus cool du pays, et je ne l’ai pour ainsi dire jamais quitté.

Que représentent pour toi les groupes Radio Birdman, New Christs, The Hitmen avec du recul ?

Dans les premières années Radio Birdman était une famille ou, à tout le moins, un gang. On était viscéralement dévoués à notre musique, mais pour avoir l’opportunité de jouer, c’était toute une comédie. Mais en fin de compte, il n’y a rien d’amusant dans Radio Birdman. Dans ce milieu tu es soit un tyran soit un lèche-bottes, et ça je ne l’oublie pas.

Les Hitmen ont essayé de s’affranchir du modèle de Birdman et de projeter cet héritage en dehors de la scène underground de Sydney, dans la culture mainstream. On a travaillé dur pour abattre ces barrières bien réelles, et on s’est bien amusé pendant tout ce temps. On a jamais connu un grand succès car on tenait à être à l’avant-garde, et les maisons de disque ne savaient pas quoi faire de nous.

C’est triste, mais cet héritage a disparu avec sa propre suffisance.

The New Christs c’était en gros les Hitmen qui accompagnaient Younger. Cette formation a enregistré les chansons les plus solides et les plus cotées. C’est sans doute le meilleur groupe dont j’ai été membre, surtout avec Richard Jakimiszyn à la seconde guitare. Comme toutes les formations des 30 années suivantes, c’était voué à l’échec.

Le travail pour remixer « Radio Appears » et « Living eyes » a-t-il été l’occasion de remettre le groupe Radio Birdman en selle en 1994 ?

On a essayé de sauver Living Eyes mais l’enregistrement original n’était pas terrible. Le remix n’a pas arrangé les choses. Je pensais qu’il y avait l’espoir d’une réconciliation qui aurait abouti à une reformation. Je ne m’étais pas douté que la réconciliation n’était pas la motivation.

En 1984 avec les New Christs tu fais la première partie d’Iggy pop..

Comme je l’ai dit, The New Christs était un super groupe à l’époque. Iggy avait une formation médiocre lors de sa première tournée en Australie et il était horrifié que The New Christs surclassait facilement son groupe de paranoïaques new yorkais. Malgré tout, Iggy nous adorait ! Lors d’un concert, il était monté sur scène avec nous et on lui avait envoyé une rafale de chansons, jusqu’à ce que son groupe nous débranche littéralement. Je me demande s’il s’en souvient.

Vous entrez avec Radio Birdman au Aria hall of Fame en 2007, C’était une consécration ? Quels groupes devraient également y figurer d’après toi ?

C’était ironique que “l’industrie” qui avait tant dénigré le groupe dans le passé finisse par reconnaitre notre contribution. Certains membres du groupes étaient réticents, mais je pense que la reconnaissance avait été gagnée de haute lutte, et qu’on devait l’accepter de bon cœur. Quant aux groupes qui devraient figurer dans le Hall of Fame, je dirais pour l’Australie, sans nul doute, The Loved Ones, The Black Diamonds, The Missing Links, The Purple Hearts. Il y en a trop qui ne seront jamais pris en compte.

Vous vous séparez en 2010. Quatre ans après, le groupe se reforme sans toi. Quel est ton sentiment là-dessus ?

Les problèmes dans ce groupe sont plus profonds et plus compliqués que dans la plupart des autres groupes. Quand il était devenu évident que je ne tolérerais plus le comportement lamentable de certains membres du groupe, j’ai été viré. Il n’y avait pas de motif professionnel ou musical. C’était une tentative punitive et délibérée de me faire du mal. En fait, en me virant, les membres du groupe a perdu le ciment qui leur permettait de faire fi de leurs divers désaccords et de rester cohérents sur un plan musical. Je ne les vois même plus comme ce groupe-là. Des fois je me demande pourquoi ils ne jettent pas l’éponge. C’est triste et gênant.

Quelle a été l’évolution de ta carrière ces dernières années ?

Au début, ma carrière était la conséquence d’une certaine lassitude : Je n’avais rien à faire de mieux de mon temps et de mon énergie. Je me suis débrouillé pour atterrir dans des projets qui s’avérèrent révolutionnaires dans une certaine mesure. Tous mes groupes ont été à l’avant-garde, bousculant les barrières culturelles et musicales de l’époque, ouvrant la voie pour les successeurs. Sans la célébrité ni le succès commercial, bien entendu !

Avec le temps, j’ai découvert que j’aimais écrire et enregistrer. Des groupes comme The New Christs et Radio Birdman m’ont procuré très peu de satisfaction dans ces domaines, alors je suis parti ou bien on m’a mis à la porte. Même les Hitmen, que j’avais conçu comme un vecteur pour mes textes, avait ses limites.

A un moment j’en ai eu marre du caractère superficiel des musiciens, et j’ai suivi des études qui m’ont mené à exercer la profession de naturopathe pendant pas mal d’années. Mais je n’ai jamais rangé la guitare.

Les choses se sont vraiment mises à changer quand j’ai commencé à former des trios avec moi au chant. Des groupes comme The Juke Savages and Klondike’s North 40 étaient des nouveaux défis intéressants avec de talentueux musiciens. Je voulais pas gâcher tout ça en y ajoutant un lead singer à deux balles avec toutes les conneries qui vont avec. Et donc, je me suis forcé à chanter. Si on y ajoute mes chansons, c’est entêtant, ça prend aux tripes et puis ça te fait taper dans les mains. Ensuite, je me suis rendu compte que tout ce que j’écrivais n’étais pas dans ma tessiture. Alors il a fallu que j’apprenne, et vite ! De plus, la liberté d’expression pour les petits groupes, ça voulait dire que je pouvais pousser les limites et aller au-delà des capacités de mes groupes précédents. C’est extrêmement satisfaisant et je me plais à penser que, au-delà de ma production prolifique, mon écriture et mon interprétation s’améliorent. Quoi qu’il en soit, je m’éclate à jouer de la guitare et à faire des tournées avec The Viveiro Wave Riders and The Outside. C’est libératoire d’être enfin associé à des êtres humains formidables.

Une nouvelle tournée passera par la France en février…

J’aime partir en tournée et jouer avec des gens bien et m’amuser. C’est toujours le cas avec The Outside, et surtout encore plus aujourd’hui avec El Kara à la batterie, pour nous donner de solides fondations pour que le groupe soit génial.

Que penses-tu des groupes australiens qui ont réussi comme AC/DC, Nick Cave and the Bad Seeds, ou encore Rose Tattoo ?

J’ai aucune affinité avec ces groupes. J’aime bien AC/DC et Rose Tattoo, mais franchement, ils n’ont aucun swing. Et je déteste Nick Cave au plus haut point. Je le hais profondément, cette merde de junky chic.

Que t’inspire la nouvelle scène australienne, par exemple Tame Impala ou King Gizzard ?

Parmi les groupes qui éclosent aujourd’hui, il y en a qui sont très dynamiques, plein d’énergie, et c’est encourageant !

Il y a cette tragédie, ces incendies géants en ce moment en Australie, quel est ton sentiment par rapport au dérèglement climatique, penses-tu que les politiques en font assez sur cette question ?

Je sais que c’est à la mode de dire que l’art et la politique ne doivent pas se mélanger. Mais je pense que ne pas s’impliquer dans le débat politique c’est renoncer à ses droits et à ses privilèges en tant qu’être humain! Les artistes doivent relayer des messages, doivent dire que nos politiciens ne se préoccupent pas de la sécurité et du bien-être de leurs électeurs.

Tu as vécu dans de nombreux pays dont le Canada, l’Australie, et maintenant l’Espagne depuis 2010. Où te sens-tu le mieux ?

Je suis un éternel étranger. Je suis un étranger partout ! Et putain, je suis super chanceux de pouvoir continuer à voyager et à vivre comme je le fais.

Quels sont tes albums favoris de la décennie ?

Je ne sais pas si je peux choisir des albums favoris. En Australie, j’aime bien ce que fait Mick Medew actuellement. Et puis, Amyl and The Sniffers sont assez fun. En dehors de l’Australie, David Gasten fait un super boulot avec sa musique lounge “This Is Vintage Now”. Et ici en Espagne, The Atomic Zeros, Bang 74, et Johnny Casino font de la super musique.

Que peux t-on te souhaiter de meilleur pour 2020 ?

Si nos “leaders” pouvaient ne pas éteindre toute vie sur notre planète cette année, ce serait pas mal ! C’est mal barré ! Mais je vois chez de nombreux jeunes de la force et du leadership, alors peut-être qu’il y a de l’espoir pour le futur.

En ce qui me concerne, j’espère pouvoir juste continuer à être en bonne santé, à être heureux, à écrire et à jouer de la musique. Il me reste encore tellement de choses à faire !

Interview : Frédéric QUENNEC / Traduction : Nicolas QUENNEC

The Outside Feat. Chris MASUAK The Last Time French tour 2020

Chris Klondike Masuak on guitar ! (Radio Birdman / New Christs/ Hitmen / Screaming Tribemen/ Viveiro Wave riders)

Jeu. 13/02 : Paris/Montreuil @ L’Atmony Vend.14/02 : St Brieuc @ Le Piano Bleu Sam. 15/02 : Lorient @ Le Galion Lun. 17/02 : Rennes @ Mondo Bizarro (+ Supersuckers) Mar.18/02 : Nantes @ La Cour 87

Site de Chris Masuak

Page Facebook de Chris Masuak

Descent into the Maelstrom – Radio Birdman Documentary film

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